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Journal du voyage minuscule.



Depuis des années, j’ai traversé à pied la France en tous sens, par les sentiers et les petites routes, apprenant des gens, des arbres et des choses, depuis les matins de ferveur aux des soirs de grande lassitude. J’ai fait étape dans les jardins des abbayes, ceux des seigneurs et ceux des humbles, me suis nourri de leur harmonie et leur science, y ai proféré conférences, discours et mots des poètes. C’était l’ancien temps. Aujourd’hui, en ces temps de colère et de bataille, réfugié comme chacun dans ma maison, sous la Grand Combe du Mont Granier, au bord de l’intermittent ruisseau de Tencovaz, le ciel est aussi immense qu’à l’habitude, et le printemps, comme chaque année est à l’innocence. Confiné ! Un mot que l’on croyait réservé aux catastrophes atomiques, le jour, possible, vraisemblable, où la centrale nucléaire de Bugey, dont on aperçoit, loin, les panaches de vapeur du sommet de la montagne nommée Cochette, aurait explosé lors du Grand Séisme. Non. Depuis des jours, la Bête Invisible, la Dame Noire couvre le monde de son abominable manteau, et chacun se cache car on dit partout qu’on entend se rapprocher le bruit de l'immonde Charrette. Dans ces circonstances, j’envisage pourtant une aventure rebelle. Une randonnée quotidienne et extravagante au parcours minimal, autour mon jardin, comme une gymnastique spirituelle. Un voyage naturaliste et poétique, à l’observation des infimes, à l’imitation d’Alphonse Karr et de David Haskell. Un exercice intellectuel et vital, que je veux partager ici avec toutes celles et ceux qui, enfermés dans leurs murs, ne peuvent que se souvenir des senteurs du printemps. Voici le journal de bord de ce cheminement minuscule, pour apporter un peu de détente et de soutien à mes amis, moi qui ai tant de chance aujourd’hui de connaître là-haut la lumière. Conformément aux indispensables consignes en temps de guerre, je ne sortirai à découvert qu’un temps court, ce qui m’obligera à une observation précise et ardente, le temps de ressentir, de comprendre, de m’imprégner dans l’urgence, et de faire quelques photos-témoignages. C’est un drôle de terrain, tout en longueur et en pentes de mauvaise terre, en corniche au-dessus d’un ruisseau qui souvent s’ensouterraine dans le calcaire, et vrombit les jours de grande pluie ou de dégel. Environ quatre-vingt mètres de longueur sur à peine trente de large. Mon premier but sera de rejoindre et de longer le lit de ce torrent de Tencovaz, qui marque la frontière de mon domaine, et peut-être d’en atteindre dans quelques jours les gorges, à quelques mètres, si loin. Après, on verra. J’improviserai. Je descends les quelques marches qui bordent ma terrasse. L’épopée, ridicule, essentielle, commence. A demain !

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