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LE FEU

Partir à la nuit lourde, lune au dernier croissant, pour ne pas être en retard, à six heures, au rendez-vous. S’éclairer aux maigres étoiles et titubant, manquer plus d’une fois d’aller, hagard, errer dans les fossés,. La bande blanche de la route noire est la seule ligne de vie. Se dire qu’il ne faudra jamais la perdre. La suivre exactement comme Thésée accroché au fil d’Ariane. Ne pas regarder l’heure, n’entendre que sa respiration, courte, anxieuse. Se parler tout seul, s’encourager, tenter de sa rassurer, se dire qu’on a le temps, se souvenir de tous les virages sur la carte, appris hier soir par cœur. Sept kilomètres. Je suis encore dans les temps. Le jour hésite. Il va faire clair. Et si je m’étais trompé d’horaire ? La silhouette stalinienne de l’observatoire météo me surplombe. La dernière rampe, je pleure presque, j’y suis, épuisé. Moins cinq degrés. Une demi-heure d’avance dans le vent glacial, caché sous le muret de la table d’orientation. Seul au sommet du Ventoux. L’appareil photo s’enraye, les doigts sont gelés. A l’horizon, toutes les Alpes, depuis le nord du Vercors jusqu’au Mercantour, et la silhouette de mes chères cimes de l’Oisans, maintenant parfaitement reconnaissables : Meije, Ecrins, Pelvoux, et puis le Mont Viso, comme la mémoire de mon Queyras. Et puis le fil des crêtes s’entoure pendant vingt secondes d’un liseré de braises, enfin, juste au-dessus, trois minuscules rayons clairs lancent de l’Orient un ultime signal. Un hurlement de lumière sort d’un lointain col inconnu, et le minuscule éclair en deux secondes aveugle tout l’espace, et alors tout bascule. Et moi, animal misérable et universel, je ne peux moi aussi que crier, hurler, clamer tout seul au sommet de la Montagne Souveraine. C’est fini, je chancelle, je dégringole, j’ai tellement froid.

En bas c’est l’été.

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