Ma France
Préparant cette traversée, comme un navigateur qui hésite avant de prendre la mer, j’explore, intimidé, les rives des Alpes et jusqu’au-delà du Rhône. J’étais ce dimanche en Ardèche et dans la Loire, à la rencontre de paysages et de personnes qui seront comme autant de repères au cours de ma future odyssée. J’ai traversé en voiture la longue plaine de l’Isère, imaginé dans la brume les monts du Forez, j’ai franchi le fleuve Rhône, cher à Bernard Clavel, puis remonté la Côte jusqu’à Annonay, où j’ai rencontré de belles personnes. Un peu plus tard, forcément, dans la montagne, la bruyère était presque en fleur, et forcément, évidemment, Jean, le cher Jean n’était pas loin. Quelques souvenirs de notes d’orgue électronique démodées, la mémoire du crachouillis d’un saphir sur un sillon désaffecté, mon premier trente-trois tours, acheté au Discobole de la Gare Saint Lazare… « De vallons en collines… de ce que j’ai vécu à ce que j’imagine, » … forcément, en douce, j’ai dû murmurer, chantonner. Je ne suis jamais allé à Entraigues, et je n’en ai pas envie, je n’irai sans doute pas à Natashsquan, ni bien sûr aux Marquises, Il n’y a rien d’intéressant au cimetière de Sète, et on me dit que la lumière de Toscane, même sans Léo, est toujours aussi belle. Moi, ici en 2015, j’aime cette France-là, cette France ouverte aux poètes et aux gens du soleil, cette France du respect et de la transgression, cette France à la fois du silence des abbayes et du cri des artistes. Cette France à la fois du pont de pierre en ruine et de la folie du marionnettiste. On ne vend plus le journal le matin d’un dimanche, mais je sais que la montagne est belle, encore. Et qu’on doit se battre pour cela.