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Chez Poupette


Il est des jours à marquer d'une fleur blanche, de rosier grimpant surtout. J'ai repris mon parcours de bon matin, quitté le Grand-Lemps en direction de La-Côte-Saint-André, patrie d'Hector Berlioz et du Cherry Rocher. Le sentier s'amuse en surplomb au-dessus des plaines agricoles de l'Isère, frôlant les maisons nobles et de riches fermes.

Il commence à faire bien chaud : je cherche à marcher à l'ombre bienfaisante des frênes. Celle des noyers est menteuse et illusoire : ne dit-on pas qu'il ne faut jamais dormir sous un noyer ?

J'arrive à La-Côte vers 11h, nous sommes mardi, évidemment le jardin de la maison de Berlioz est fermé. Mais la charmante hôtesse de l’Office de tourisme m'indique l'existence du jardin de Poupette. Évidemment ! J'avais oublié ce fameux « Paradis fouillis » et sa singulière propriétaire. J'y fonce, sur les maigres indications de l’hôtesse : pas de panneau, pas d'enseigne, juste une petite grille cadenassée. Poupette vient de fermer sa chevillette et les visites sont closes. Heureusement, (mais est-ce un hasard ?) je l'aperçois qui rentre dans sa maison, de l’autre côté de la route où vrombissent les voitures.

« - Madame Poupette !!

- Oui, c'est moi... »

La petite dame au dos voûté et au regard de fée, sitôt que je lui explique ma démarche, m’ouvre la porte de son Paradis.

Une heure de bel échange: nous parlons la même langue, celle des feuillages, des poètes et des rêveurs inutiles.

Elle me parle de tous ses enfants, ces arbres fruits de plantations aléatoires et instinctives de toute une vie.

Cette débauche végétale enchevêtre dans un désordre joyeux et rayonnant : elle m’explique qu'il faut laisser faire les choses, que si cette glycine est tombée, c'est parce qu'elle voulait redevenir buisson, que si ce saule pousse presque à l’horizontale, c'est pour ressembler à un bateau.

Nous nous asseyons sur un banc de bricole au milieu de la clairière où se sont déroulées autrefois tant de fêtes. « Oui, monsieur, même avec l'harmonie municipale de La-Côte ! »

Elle me parle des oiseaux, elle parle aux oiseaux, me fait distinguer le chant de la mésange qui couve de celui d'après l’éclosion. Elle me récite ses poèmes, affichés un peu partout dans un parc imaginaire.

Au moment de me raccompagner, elle heurte un rameau de rhododendron et le brise malencontreusement : elle s'en excuse aussitôt auprès de l'arbuste avec de tendres mots maternels.

Elle m'offre la collection de ses recueils de poèmes, que je ne peux refuser malgré le poids dans la chariote...

Poupette, plus de quatre-vingt-dix ans d'amour envers la nature, de force de créations et d'émotions.

Il faut nous quitter. Elle rejoint son immense logis, traversant cette route aux voitures infernales.

Sur la façade, un immense rosier blanc engloutit la bâtisse, comme pour faire oublier que ce monde de Poupette est fragile, et peut-être la protéger encore.

J'ai quitté Poupette, ô ma Poupette et repris ma route.

J'ai gardé l'image précieuse de son Paradis et le souvenir du parfum de vanille de celle qui en a la clef.

Et je commence à comprendre le chant des mésanges.

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