Vive Saint-Sabin !
À Pélussin on m'avait dit que je trouverais là-haut des gens passionnés par la Nature. Après avoir herborisé de bon matin dans les bois des alentours, j'errais un moment dans le bourg avec ma chariote et m'arrêtais dans une auberge pour faire œuvre d'écriture et répondre aux faiseurs de gazettes radiophoniques. Un autochtone, fort sympathique, surpris par mon étrange équipage, m'interrogea sur mes activités : il me parla de l'utilisation des plantes dans ces contrées, de la fabrication d'un breuvage surprenant, dénommé « blanc-doux », obtenu par macération d'herbes exotiques dans le verjus, et d'une très bonne recette de pâté de cochon à la gentiane. Comme j'insistais, il me confirma qu'une étrange congrégation s'était formée dans ces montagnes, réunie par je ne sais quel esprit de découverte et l'envie de faire partager leurs savoirs. J'appris que leurs synodes se déroulaient souvent dans des parcs, jardins, et autres lieux de patrimoine naturel, et entrepris de me rendre à leur assemblée pour observer leurs pratiques et essayer de les convertir à l'écoute de mes « causeries ». Il était important que ma mission d'évangélisation botanique débutât vraiment. Je me rendis au Parc Gaston Baty, où l'on m'avait dit que cette compagnie dite du « Colibri » avait ses habitudes. Je m'assoupis sur un banc, bercé par le chant d'une fontaine et le croassement de quelques rainettes.
Peu de temps avant l'Angélus, ils apparurent : regrettant de n'avoir apporté ni colifichets ni petites boutures, je tentais, avec toute la réserve nécessaire, d'entrer en conversation avec eux. À ma grande surprise, je constatais que nous parlions la même langue, qu'ils semblaient bien connaître la chose des plantes, que parmi eux se trouvaient même quelques vrais spécialistes, et j'eus bientôt l'impression que c'était plutôt eux qui m'apprendraient leur science. J'appris qu'ils vouaient un culte singulier à une herbe, dite de Saint Sabin, qu'en Savoie nous nommons Alchémille argentée : ils m'en firent même présent, et je la mis sitôt sous presse dans mon herbier des routes de France avec toute la délicatesse nécessaire, tant j'étais confus de leur générosité et de leur compétence. En soirée, de nombreux villageois descendirent dans le parc : je compris qu'ayant appris mon passage, ils avaient organisé en mon honneur un temps de réjouissance, et m'enjoignirent de prendre alors la parole. J'entrepris de les convertir à mes histoires de plantes sacrées, d'explorateurs enfiévrés, d'herbes magiques et de conversations avec les arbres. Pour les impressionner, je réalisais sous leurs yeux, à ma façon, un élixir spécial des fleurs de leurs petites prairies, propre à donner du bonheur, et les encourageais à en copier la recette pour remplacer ce « blanc-doux » qui me paraissait peu botanique.
Mon propos parut leur plaire, et ils m'invitèrent à partager leur repas : je constatais alors que chez ces gens, science rimait plutôt avec bombance et m'en trouvais fort satisfait.
On m'invita très obligeamment à dormir chez leur Grand Argentier, où je fus reçu comme un Prince, ce qui me procura grand réconfort, vu les épreuves des derniers jours.
Au matin, alors que nous déjeunions en devisant face aux Alpes embrumées, trois montgolfières apparurent au loin s'élevant de la ville d'Annonay, sans doute envoyées avec moquerie à mon endroit, pour me rappeler qu'en 1763, cette cité avait devancé d'un an celle de Chambéry dans l'aventure de cette nouvelle technique aérostière.
Un peu fâché par ce que j'aurais pu considérer comme un affront, j'obtins qu'on m'y conduise sur le champ pour obtenir des explications et apporter à ces gens du sud un peu de vraie culture botanique. J'arrivais au lieu-dit Parc Mignot, où la foule se pressait dans une docte assemblée de scientifiques en herbe. Je fus tout de suite assailli par des cohortes de bambins fort demandeurs de savoirs, et je dus leur avouer tout ce que je savais sur l'art de la tisane, du gargarisme et de la magie des plantes, faute de quoi je crois qu'on m'eut prié bien vite de retourner dans ma Savoie voir si les cerises y étaient mures. Au soir, j'oubliais les montgolfières, et entrepris à nouveau de convertir au moins ces gens à ma vérité des herbes : l'auditoire fut là encore attentif et bienveillant.
Décidément, je repartais du Pilat avec plus de savoirs que ce que j'avais apporté, et le sentiment que faute d'être terre de mission, ce pays était celui de l'amitié et de la connaissance partagée.
Yves YGER