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Tutu et Radada


Nous grimpons d'un bon pas à l'ancien Sanatorium des instituteurs, devenu depuis longtemps Centre Médical. Il y a là, juste en bas de ma maison natale, cette toute petite pièce d'eau que nous appelions autrefois le « Radada », où j'ai tenté sans succès bien des pêches à la grenouille, mais réussi la capture de tritons, salamandres, papillons et libellules.

L'endroit est désormais sécurisé, maçonné : la sauvage mare aux découvertes, là où j'ai appris sinon à aimer, du moins à prendre curiosité de la nature, est devenue bien sage, protégée d'un voile de lentilles d'eau, et même le ruisseau qui l'alimente dénommé autrefois « Tutu », sort d'un tube en PVC. Des gerris s'appliquent à nager avec détermination contre le petit courant. Gerris. J'ai appris le nom de ces insectes sur les bords du Radada, et ils sont toujours là.

Finalement, il faut bien s'y résoudre. Depuis le temps que j'en parle dans mes spectacles...

Je furète autour du bâtiment, vaguement inquiet. Il était planté au-dessus de ce talus, derrière le « Pavillon du personnel », ce fameux cerisier où j'ai la mémoire de mes premiers émois arboricoles.

On l'a sans doute abattu depuis longtemps.

Non, il est là, ou plutôt ils sont là, tout un verger de vieux arbres, sans doute un peu malades.

C'était lequel ? Qu'importe, c'est celui-ci qui me fait signe. Encouragé par ma sœur qui insiste, je parviens avec moult difficultés à grimper à la croisée des branches charpentières, comme je l'ai fait cinquante-cinq ans auparavant, et même si je suis ridicule, même si tout cela manque de souplesse, je m'en moque.

Je suis ce timide enfant de cinq ans qui ose escalader les arbres et veut écouter le bruit du vent dans leurs branches, à califourchon sur les lichens mouillés et les perles collantes de résine. Je m'accroche à grand peine à l'écorce humide, je me cale, je me love au cœur de mon arbre et alors tout s'illumine. Évidemment, Lacarrière : le bruissement des dieux dans les ramures... Je regarde le monde depuis l'Olympe.

Il reste quelques cerises, oubliées par les récents cueilleurs. Elles ont goût de divine ambroisie.

Yves YGER

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