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Ô forêts !

Je suis entré dans la forêt comme dans un temple. L'exercice est particulier, et peut ressembler à une prière. Pour ce soir, il s'agit de pénétrer dans la très sage forêt domaniale de Châteauroux, plantée de chênes de rapport, soigneusement entretenue, traversée par de longues allées rectilignes tracées au cours des siècles par la sylviculture ancienne.

Route forestière Louis XIII. Cela me plaît. Heureusement interdite aux automobiles, son tracé direct permet de parvenir rapidement au cœur de la nef. Une colonnade insensée soutenant le ciel, un immense édifice de verdure et de vertige, travaillé, strict et codifié, bien loin de la nature primale qui m'est chère. Pourtant je sais que c'est dans ces forêts bien rangées que les gens des villes viennent souvent chercher leur « ressourcement » nécessaire ; on gare la voiture à la barrière du carrefour en étoile, la famille descend, on fait sortir le chien, on fera un petit tour aujourd'hui, il est tard. Mais la promenade du dimanche, c'est sacré !

Sacré ? Pour l'instant j'avance, chaque pas rythmant la marche comme une stance de mélopée préparatoire. Je sais que dans ce cœur (ou chœur ?) de l'édifice, nul ne circule la nuit, un peu comme sur une île inhabitée, et que c'est là que je veux dormir.

M'arrêter dans une clairière, poser mon équipage entre deux souches vermoulues, déplier mon attirail de bivouac, m'asseoir et prendre le temps d'écouter le chant des arbres. Fougères et mousses en abondance me feront un matelas presque confortable ; je m'adosserai tout à l'heure à un arbre ami ; le soleil de juin encore haut clignote les houppiers, et réchauffe l'humidité des fossés et des tapis de feuilles. Le corps s'apaise, oublie les contractures. Bon moment après tant de brûlures.

Je vais coucher ce soir avec la forêt, je suis amoureux d'elle.

Je le sais : mon être crie peu à peu de désir végétal, d'envie de sentir semences et sèves mêlées. Marcher ici nu, animal ignorant la morsure des écorces mortes, me vautrer dans l'humus gras qui lentement se décompose, hurler comme en transe devant l'autel, appeler les arbres, les feuilles, les fougères et les mousses à accepter l'offrande de mon corps épuisé par tant de pas inutiles.

La fatigue sans doute.

Pour l'instant, tant qu'il fait jour, il faut écrire, tenter de capter encore un peu de ces lumières.

Écrire, bien sûr, un peu.

Et s'allonger en paix comme après l'amour, pour écouter les oiseaux inventer la nuit.

Yves YGER

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