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Aristoloches et belles lumières


Lorsque nous quittons Chalonnes en direction d'Ingrandes, il fait encore bon. La chaleur va progressivement inonder le jour. Nous longeons la Loire au plus près par un approximatif sentier de pêcheur, entre peupleraies et saulaies, sans balisage ni certitude. Sur les bords du chemin, pousse en multitude l'aristoloche aux feuilles en cœur, aux fleurs inquiétantes et aux fruits de figue vénéneuse. Cette plante étrange n'apparaît que sur les « levées » de la Loire, comme si elle avait besoin de cette lumière singulière que renvoie le Fleuve. L'aristoloche au nom de noblesse désargentée, de Quichotte en impossible quête d'étoile. Finalement, nous sortons du bois des sortilèges et retrouvons la violence de l'air brûlant de l'été : heureusement, une halte s'impose à la Chapelle Saint Aubin, récemment sauvée des ruines. C'est un lieu chargé de puissance et de spiritualité.

Une lumière, sinon divine au moins de circonstance, envahit le chœur et l'autel, laissant apparaître sur le côté les traces carmines de fresques du moyen-âge : près d'un Christ en majesté, un décor de fleurs fait comme un signe au passage de mon « Chemineau des Herbes ». Universalité du symbole végétal. Je crois sinon à Dieu, au moins au génie de ces peintres qui ont laissé ces humbles empreintes pour presque l'éternité.

Un peu plus tard, des gens du voyage, stationnés en campement sur une prairie rabougrie en bordure de route, nous invitent à faire halte. Nous parlons de médecine par les plantes, forcément, qu'ils n'utilisent plus guère, et de la colère qu'ils ressentent face à la société qui les ignore, sinon les méprises. Ici, sur ce lieu pourtant prévu pour leur accueil, évidemment pas d'électricité, pas de toilettes, et même pas d'eau courante ! Les femmes nous offrent des glaces, comme si le fait d'être chemineaux, des vagabonds même très privilégiés comme nous, créait une connivence entre gens qui fréquentent les routes. Madame du Voyage a un doux regard, et sa bénédiction chrétienne avant de partir me fait du bien. Je lui serre longuement la main, j'aurais envie de l'étreindre, de la serrer contre mon cœur pour ce court moment d'échange et de fraternité. Elle m'a appris et certainement un peu rapproché de leur cause. L'eau, simplement de l'eau, pour vivre, ce n'est pas grand chose, et on leur refuse. C'est injuste.

À Champtocé, patrie de l'inquiétant Gilles de Rais, nous décidons d'aller visiter les jardins du Château du Pin, apparemment proches. Marcher cinq longs kilomètres sur cette route de bitume, par ce soleil barbare, est une véritable épreuve. Mais lorsque Jane de la Celle nous ouvre les grilles de son jardin, tout est vite oublié. Roseraie entre les murs, potager ancien, jeu des topiaires et des agrumes, partout de patientes grenouilles attendent le visiteur, qu'elles soient en terre cuite sur le bord des bassins silencieux, ou bien qu'elles sautent sous les nénuphars à leur approche. Encore un jardin de passionnée : Jane se promène seule avec sa cisaille, rectifie la forme d'un if, révise l'accroche d'un rosier, replace une grenouille ; puis disparaît sous les citronniers de collection.

Par bonheur, elle nous indique une allée secrète et ombragée pour rejoindre les bords de Loire. Nous arriverons à Ingrandes ce soir, à l'Hôtel du Lion d'Or, où un couple des jeunes et récents propriétaires nous accueille avec grande gentillesse. L'accueil et la cuisine y sont particulièrement soignés et réussis : comme toujours, la générosité des personnes se traduit forcément dans la qualité de leur service, de leur produit.

Encore de belles personnes rencontrées aujourd'hui : le peintre anonyme qui a autrefois tatoué les murs de la chapelle Saint Aubin, la bohémienne généreuse au bon regard, Jane la châtelaine qui se bat pour que vive son immense jardin, et nos hôteliers-restaurateurs engagés avec passion dans leur profession.

Yves YGER

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