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Comme sur un plateau

Grenoble, grise de toutes les tristesses, contournée au plus vite comme une parenthèse.

Vizille, dont l’arrogante forteresse républicaine, posée sur son rocher, semble un peu incongrue.

Je suis pressé. Enfin quitter le grand bruit. S’arracher aux vallées. Tout le pays ici s’appelle Mésage.

En passant vite par la route, je croyais autrefois que le terme évoquait les « mésanges », en hommage peut-être à quelque François d’Assise Dauphinois. J’avais tort : c’est plutôt de message qu’il s’agit.

Je reçois les ultimes indications intérieures, le dernier mode d’emploi pour quitter le rythme de la Ville qui gronde en dessous. Chapelles templières: un signe! Longue traversée sous le soleil : j’entends les vipères s’enfuir à mon approche, les graines de hêtre s’activent à germer au milieu du chemin, à développer en toute urgence leurs deux semblant de feuilles avant le plus souvent de se faire écraser par la semelle du promeneur. Feuilles et caillasse : il faut hisser la charriote à bout de bras, répéter cent fois le geste, lentement, comme un exercice rituel.

La Frette, hameau fermé et silencieux, où les habitants se cachent derrière de sinistres panonceaux « propriété privée ». A moi, Proudhon ! Les balises se font rares et il faut comprendre le sens caché du chemin. Parier sur le choix du virage, maudire les racines et les pierres qui retiennent la machine, éviter de se faire tirer en arrière par les forces obscures et viles de gravité, se relancer d’un coup de reins pour franchir le dernier ressaut. Je croise deux vététistes technologiques, brandissant leur GPS comme un flambeau céleste : ils suivent un tracé théorique et mémorisé, mais ignorent visiblement le nom des lieux et des villages. Il y a bien de manières de vivre la Nature. J’ai personnellement renoncé à utiliser ces appareils de géolocalisation, qui vous rassurent, vous aliènent, et vous tiennent par le cordon.

Le vent se lève, le plateau prévient de son approche. Je reconnais bien ce souffle de l’avant-col.

Dans un dernier ahanement, j’atteins une triste sapinière un peu lugubre, puis enfin le lac Mort, le bien nommé. Une cuvette de cailloux fouettée par les rafales, où un peu d’eau grise s’ennuie. Descente vers Laffrey, où passa Napoléon le Dérisoire lors de sa remontée vengeresse. Sur le lac, c’est la tempête. Choronge, village désert somnolant dans le faux hiver.

Et le vent hurle de plus en plus fort et je traverse en riant le plateau matheysin : petites forêts où le sentier doit s’amuser quand il n’y a pas de neige, branches vertes arrachées par la sauvagerie des rafales, villages un peu défaits entrevus au loin, sommets ronds poudrés par la tourmente.

Avancer, chanter, crier avec le vent, avec l’immense. Oui, je dois rejoindre La Mure, pour y retrouver des forces. Oui, je veux y arriver. Ma casquette s’envole dans la prairie. Plutôt drôle. Dételer la monture, courir dans le blé neuf, repartir. Mais la neige ancienne est restée sur le chemin et ralentit considérablement le rythme. La charriote n’est pas une pulka et s’enfonce dans les congères molles.

Il faut ruser, contourner par la route, revenir, patauger dans les ruisselets. Et enfin exploser de rire en apercevant la ville au pied des collines. Il doit bien y avoir ici un endroit où dormir. La route. Rond- points tristes. Trottoirs lisses. Centre commercial. Enfin un panneau : « Chambre… ». Une chance ! J’avance et l’inscription apparait derrière un mur : « Chambre Fun » ! Ah bon ? Une soirée un peu ollé ollé ? Pourquoi pas ? Encore quelques pas : « Chambre funéraire » …Hélas !

Ce sera donc l’hôtel, pour réparer les violences conjuguées de la pente, des cailloux et du vent. Aujourd’hui, deux étapes en une. Grande fatigue. Demain, je prends mon temps.

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