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Gentiana musica Y.

Montée par la route vers le col de Menée, Enfin la pluie s’est arrêtée : place à l’ambiance mahlérienne : sapins don Quichotte, falaises de terre grise, neiges et brouillards qui s’accrochent à la pente.

Fort peu de circulation automobile et la dizaine de kilomètres est vite avalée à bon rythme.

Le tunnel sous le sommet est un édifice -mais peut-on dire édifice alors qu’on l’a creusé ? - à l’acoustique formidable qui appelle la voix. Alors, seul sous la voûte immense je me mets à chanter les poètes comme un soliste solitaire dans une cathédrale déserte, une fois les fidèles envolés : « Mes lointains voyageurs, nous nous sommes perdus, quand j’allais vous nommer, dans le gel et le givre… ». Egoïsme de la jouissance, moment rare de jubilation vocale et intérieure.

A la sortie du tunnel, je découvre un camping-car dont les passagers anglais semblent dans une contemplation un peu inquiète devant l’horizon du Diois. Certainement un peu interloqués par l’écho lointain de mes roucoulades souterraines, puis par l’apparition de mon insolite équipage, j’essaie de faire bonne figure et nous entamons conversation au sujet de mon parcours. Il est vrai que la charriote, même en anglais, crée forcément du lien social…

Ici commence une descente sacrée -mais n’est-ce pas plutôt une élévation ? - vers le fond de la vallée, deux heures de grâce botanique et poétique justifiant toute ma démarche. Enfin, le soleil, la vie, après tant de Mahler ! Partout des milliards de fleurs illuminent les talus : genêts nains, orchis, globulaires, polygalas et surtout gentianes acaules en tapis, se répondent dans une musique énergique et tribale, une forme de symphonie végétale primaire et délectable : comme un choral de Bach, avec la même force originelle et la même métrique lumineuse.

Je ne connais pas de bleu plus profond que celui des cornets de gentiane de Koch, et je n’en ai jamais vu de si belle taille. Leur couleur à la fois ultramarine et presque extraterrestre, née au fond de l’atoll et débordant jusqu’aux broderies des costumes bretons du pays Glazic, justifie tout l’amour des plantes.

Les botanistes rigoureux n'y verront qu’un outil de séduction pour les insectes butineurs, mais j’affirme que c’est tout autre chose : une forme d’intelligence, de complicité avec la musique : la même forme d’instrument- un cor-, où soufflent les angelots sur les fresques votives, et celle du gramophone « Pathé-Marconi » d’où sort la Voix de son Maître…Tout cela ne peut pas être une coïncidence… Est-ce la raison fait que l’on a parfois fabriqué un « élixir floral » de gentiane bleue pour favoriser la créativité et le talent des musiciens ? Peut-être…

Pour l’instant, je suis au gîte de Bénevise, et j’écoute de la musique baroque. Il n’y a pas de hasard.

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