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La leçon de tango

Première erreur d’itinéraire depuis le départ. Trop confiant sur mon sens (!) de l’orientation, sans doute un peu endormi par la mélopée des gouttes qui tapent sur le parapluie, j’oublie de repérer les balises rouges et blanches, et part insidieusement sur un chemin de plus en plus étroit, semé de cairns rassurants et trompeurs. Le terrain devient assez vite pentu, glissant et scabreux, frisant bientôt la limite de sécurité de mon équipage. Un simple coup d’œil sur la boussole et sur la carte me ramène assez vite à la réalité : je monte au-dessus d’Archiane alors qu’il faudrait y descendre !

Evidemment, nécessité est de faire demi-tour, chose peu évidente sur ce sentier rétréci, car la longueur des timons de la chariotte impose une plate-forme de rotation large. Comme un clown un peu pitoyable, sur la pointe des pieds autant que le permettent les grosses chaussures, mettant presque à la verticale ma partenaire à roulettes, je parviens dans une figure de tango totalement ridicule à tourner sur moi-même en criant aux genévriers qu’ils n’ont qu’à bien se tenir ! Ollé ! Le Danseur grotesque est de retour au milieu des montagnes ! Un sacré avertissement ! Je sais combien j’ai besoin de me raccrocher aux cartes, tels des tarots de vérité, que je dois me méfier plus que tout de mes intuitions géographiques, moi qui dans ma propre maison, doit énormément réfléchir, quand je perce un plancher, pour savoir dans quelle pièce du dessous je vais aboutir ! Penaud mais rassuré, je retrouve vite l’itinéraire prévu, son bon chemin, ses balises apaisantes, presque maternelles, et sa douce déclivité qui me mènent tranquillement vers Archiane. Il faut prononcer le H d’« Archiane » comme un chuintement, une confidence, et non durement « Arkiane », ce qui serait trop rude : le vert tendre des jeunes feuilles de hêtre, la candeur des cierges d’alisier, joignant leurs limbes comme des mains en prière, initiés par le timide soleil qui les enchante, enjoignent à cette prononciation délicate. L’Arkiane serait raboteux, violent, archaïque. L’Archiane est harmonieux, complexe, avec ce qu’il faut de gouleyance pour qu’on ait envie de chuchoter son nom.

Il est midi, et je suis seul à la table du refuge, il pleut à nouveau et le chapiteau des falaises a été démonté par les brumes. J’aime ce moment sans paysage, comme suspendu comme entre deux eaux, entre deux pluies. Décalage. Le téléphone raconte que, dans un studio de télévision lointain, les candidats à l’élection présidentielle ont débattu hier soir pour séduire nos suffrages, et que les mensonges de Madame La Haine sont apparus au grand jour. Que tout cela est loin, dérisoire, et pourtant essentiel. Il n’est d’amour de la Nature sans Liberté.

Sur chaque chemin qui se perd dans la clairière, au coin de chaque bergerie, au bas de toutes les prairies, au pied de chaque murette qu’on croit posée là par hasard, sur l’eau qui renait sous la mousse de la fontaine oubliée, je me battrai pour elle..

Ma belle liberté de marcher et de penser, mes leçons d'enfance, ma France.

Archiane sous la pluie

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