Montana doloris

J’ai souffert ces derniers jours dans la Montagne, et j’ai eu brutalement une fringale de plaines.
Un besoin physique, impérieux, de campagne tranquille.
Toutes ces journées à me battre contre la pente, les dalles de granit déchaussé, les racines retordes et la ruine des pierres, m’ont épuisé, et il me faut me poser, me reposer. Je n’ai sans doute plus le souffle de mes vingt ans, quand je traversais autrefois les Alpes avec un sac de plus de vingt kilos sur le dos, et il m’est difficile de le reconnaître ! Accepter son âge, c’est malaisé quand on a parcouru la vie sans problème de santé majeur. La chance d’avoir l’outil ! Mais la disparition si injuste autour de moi de personnes, ces derniers mois, qui m’étaient proches et chères, me pousse à crier, à hurler que je suis vivant, que je suis encore à la hauteur de cette Nature qui a guidé mon existence.
Non ! Je ne suis pas venu pour réaliser ici quelconque exploit, ni prétendre être le pitoyable Mike Horn des talus de France. Je n’ai rien à prouver, sinon ma capacité à ressentir, à écrire et à créer. Alors, le cœur en bretelle, renonçant pour un moment à la cruauté minérale des sentiers cévenols, je prends, un peu défait, le bus qui descend dans la vallée. J’imagine déjà des jours prochains de douceur, de frôlements d’herbes, de petites routes plates et solides, de mas Théotime au bout du chemin, de fontaines rassurantes, de haltes sous les figuiers avec un verre de rosé frais. Je retourne, un peu triste, vers le blanc de la carte, là où les courbes de niveau s’ignorent et se respectent. La route tournicote autour de la petite voie de chemin de fer que j’empruntais lorsque j’avais quatorze ans, dans les livres de Jean-Pierre Chabrol ; et la vallée de montagne se fait rapidement prolétarienne : Génolhac, Chamborigaud, la Grand Combe, dont les mines éteintes sont comme des spectres.
Alès, sinistre et grise, où s’activent dans tous les sens des lycéens Ipodo-dépendants autour d’un lycée bleu et jaune.
Uzès, enfin. Uzès, à l’allure Renaissance, comme une récompense.
Rien que le nom sent la citronnade et le tilleul. Un zeste d’Uzès, s’il vous plait ! Je déambule, un peu groggy, dans les rues piétonnes de pierre blanche, déjeune dans un bistrot comme je les aime, éloigné du centre touristique ; ça sent le jaune et la cigarette, la pause de midi et les blagues à trois balles.
La vie.
Et puis je repars vers le sud-est, en direction du vieux Pont du Gard, par des chemins doux de coquelicots et de murettes, de petites routes oubliées où j’avance d’un bon pas.
Traces des roues de charrettes dans la pierre antique. Au bout de deux heures, c’est une clairière qui m’appelle, évidente et captivante, près des vestiges d’un des aqueducs romains qui alimentaient le célèbre monument. Je m’y allonge et je m’endors, apaisé par le chant des oiseaux et l’harmonie des pins sylvestres. Il était temps. Quand j’aurais installé le bivouac, je lirai à voix haute, seulement pour les arbres et les genêts, un ou deux textes de Bernard Dimey, le Citadin, le Parisien, l’Anar, en apparence bien éloignés de tout cette concordance ; pourtant, j’en suis certain, la musique des mots d’un vrai poète, indispensable, à l’heure des Noces du jour et de la nuit, m’enchantera et fera se retourner imperceptiblement les arbres de la clairière.
