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Soyons Sérieux...


Deux jours de course vers l’Ouest. Plus de 35 kilomètres par jour pour finir d’avaler la Cévenne, avant les orages annoncés, avec des moments de grâce, d’autre d’infernale douleur.

J’avais prévu de monter sur le Mont Aigoual par les sentiers : ils sont hélas couverts de fracas de grosses branches des dernières tempêtes, donc impraticables pour mon maudit appareil, qui les charroie de désespoir, et m’oblige à des efforts barbares pour me libérer des serres de la forêt.

Je dois donc assez rapidement rejoindre la route. Presque vingt kilomètres de persévérance et de solitude, à compter les virages en épingles, à mépriser les rares et ignobles voitures, à m’hydrater aux fontaines heureusement généreuses, à me rabâcher en tête les mêmes rengaines stupides : mon Espérou, je l’espère, mais où ? J’arrive sur les hauts à 19 heures, exténué, vidé, stupide, niais et lumineux aussi.

Et au comptoir du bistrot, je demande qu’on me serve un Sérieux.

Un Sérieux, une pinte de bière fraîche.

On a la quantité, on a le temps. On entame la mousse comme on mange la première tartine d’un nouveau pain, parce qu’on a soif, parce ce qu’on a faim. Puis on entre en appétit, on croque dedans comme dans une pomme pas tout à fait mûre, et cette amertume, cette âpreté de noix verte vous comble d’aise.

C’est un peu un devoir, un pensum et aussi un bonheur absolu, une ambivalence des sensations contre laquelle on ne pourra pas lutter, dès que l'alcool vous aura transmis la tendre hébétude.

Non, évidemment! Le goût de la bière ne peut jamais être qualifié de « bon », selon les conventions, mais plutôt d’âpre, de râpeux, de travail en cours. Il a des allures de ferronnerie, d’efforts, de terre remuée. Oui, c’est ça. La bière a goût de charrue, de labeur à finir, avant d’aller en ville.

Et, après tant d’efforts pour s’extraire de la vallée, elle a l’odeur de mon grand-oncle Laurent, quand il sortait de la cave en bleu de travail pour aller clayer les poules.

L’Espérou, Mont Aigoual. Demain, direction Nant, encore trente kilomètres dans les bois et sur les routes douloureuses et brûlées, et c’en sera fini de la Cévenne qui m’a appris beaucoup et fait souffrir, et donné tant de sens à mon parcours. Je l’ai bien cherchée, ma Cévenne.

Puis, plus tard, vers le Sud par le Larzac, terre de mes rêves inaboutis et de mes combats lointains.

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