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Un pébroque pour monter au paradis


Finalement, il n’a pas neigé sur les hauts, et j’ai pu passer la crête du Colombier sans trop de difficultés. Heureusement, dans une telle situation, le parapluie reste l’accessoire indispensable du promeneur des hauts plateaux, beaucoup plus efficace que tous ces lourds « ponchos » décathloniens sous lesquels on ahane et transpire très inconfortablement. La pluie qui danse sur le riflard fait une musique rassurante, presque maternelle, et si l’on pouvait, on ferait bien son Gene Kelly, mais la charge et les chaussures pas vernies obligent à y renoncer. Certes les 1100 mètres de dénivelée vous contraignent aussi à modérer vos transports…

Chaque fois que j’arrive sur les hauts plateaux du Jura, je retrouve cette harmonie étrange de vallonnements rassurants où se cale la puissance des maisons et des granges, posées là depuis qu’on a appris aux vaches à pâturer. Je crois qu’au lieu de papillonner, j’aurais dû vivre ici, en silence, en anachorète, à regarder comment les nuages se posent sur les combes, à écrire des haïkus en rentrant de mon jardin, où j’aurais cultivé des fraises, des melons et des légumes anciens. Voici, enrubannée de brouillards, l’ancienne Chartreuse d’Arvières, où l’on a créé avec foi un jardin ethno-botanique, et juste en dessous, c’est le Paradis. Une pente sauvage d’alchémilles, de narcisses des poètes, de myosotis et de bugles, formant un des plus beaux tableaux qu’il m’ait été donné de voir : les eaux et les lumières du printemps sont d’admirables artistes, elles qui créent de justes hasards de couleurs et de formes. Dans un mois, tout sera feuillage et verdure, et le poète aura pris l’escampette.

Le sentier est trempé et menteur : les pierres, les mousses, et l’eau qui dévale de partout, sont des pièges redoutables et il faut jouer du bâton pour garder l’équilibre. Le sac, même le mieux réglé laboure les épaules et j’en viens à regretter ma charriote, pourtant bien mal adaptée à cette trompeuse caillasse. Les buissons des buis sont aussi ici massacrés, et les sous-bois sont vides, pleins de reproches. L’anéantissement est général et le génocide insupportable. Au cœur de quel arbuste les enfants iront-ils demain se cacher ? Que faudra-t-il faire bénir aux Rameaux ? Des fleurs en plastique ?

Etrange ! Partout dans le bois, sur des dizaines d’hectares, de grosses graines jaunes constellent l’humus noir ! Je n’ai jamais vu cela auparavant. Est-ce là l’effet de l’égrainage de pins transgéniques ? Je goûte : en fait c’est du maïs ! Alors ? Des oiseaux gigantesques ont-ils lâché sur ces montagnes des épis volés dans les plaines lointaines ? Un avion plein de pop-corn a-t-il, dans le ciel, ouvert ses soutes par erreur ? Je m’interroge, intrigué. Le plus vraisemblable est qu’il y a eu là intervention humaine. Peut-être des chasseurs cherchant à « fixer » les sangliers ? A vérifier.

Virieu-le-Petit, Artemare, Belmont-Luthézieu, où je dors ce soir chez Bernadette, une hôtesse férue de jardinage et de nature. Il n’y a pas de hasard.

Trop mal aux épaules, qui ne sont ce soir que brûlures et coups de poignards. Un peu piteux, comme un amoureux admettant son ingratitude, j’appelle Marie pour lui demander si elle veut bien au plus tôt m’apporter la chariotte. Vivement demain soir, que je fasse mes excuses à l’engin délaissé. Je parle évidemment de la chariotte. Merci, chère Marie, de savoir réparer mes présomptions de Matamore. Je l’aime. Je parle évidemment de Marie.

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