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Bresse blues

J’ai quitté dans la brume le pays des étangs et des routes trop droites, cette région des Dombes au nom grave et vert sombre, en saluant encore quelques oiseaux de rencontre. J’envie la bernache pour sa liberté, moi qui use les routes en traînant ma sacoche comme un misérable gratte-bitume, j’admire le héron pour sa muflerie, lui qui se sert sans vergogne dans les garde-manger, moi qui ai trop appris à dire : « excusez-moi de vous déranger », je jalouse le canard sauvage, qui se pavane avant de plonger et de disparaître, moi qui m’inquiète quand je n’ai plus pied. Tout cet univers volatile, en apparence insensible aux hommes, mais qui se tait peu à peu, du fait de leur irresponsabilité. J’ai bien conscience de cette contradiction : je chante la nature, je lui envoie des mots, je la parcours dans ses antres préservés, alors qu’en vérité elle souffre, alors que les dommages qui l’atteignent sont bientôt irréparables. Faut-il alors se taire, et n’être qu’un militant ? Leur combat est juste, mais on ne peut pas être seulement un défenseur de la nature, il faut faire en sorte en être l’acteur, l’artisan, l’artiste, l’interprète, lui donner un sens pour les hommes, qu’elle serve non de modèle -car elle peut être barbare- mais de forme d’apprentissage à l’observation et à l’émotion. Il est peut-être déjà trop tard, le feu est partout, mais je continue, je fais ma part, comme le trop fameux colibri de Pierre Rabbhi, ce piaf qui m’énerve un peu (je parle de l'oiseau...), au travers de mes chroniques et de mes animations. L’aveuglement des hommes est dans leur ignorance : marchant le long des fossés, je plains ceux qui ignorent que les canettes, emballages de charcuterie industrielle, et sachets de chips ne pousseront jamais dans la fange des bords de route. Et je hais Messieurs Kronenbourg, Herta, Vico et Mac Donald de ne pas agir contre ce phénomène. Oui, tous les emballages sont recyclables, il suffit d’admettre qu’ils ont une valeur marchande et d’accepter de les racheter. On se baisse pour ramasser une pièce de monnaie, même petite. En tout cas au-dessus de 2 centimes… J’ai longé au plus près la rivière Chalaronne, de Châtillon à Saint Didier, où je dors ce soir, et me suis laissé aller à la douce torpeur de son courant paresseux. Petite étape, 25 kilomètres. Il est temps.

Demain je quitterai la Bresse plane, longerai et franchirai la Saône, et irai à la rencontre des pentes et des vallons du Mâconnais. Les vagues de la terre commençaient bien à me manquer. Déjà une semaine depuis le départ : la solitude, qui est aussi souvent mon amie et le creuset indispensable à la création, me pèse maintenant un peu. Cela tombe bien : demain je vais faire mon intéressant chez des gens passionnés de plantes, au pied de la Roche de Solutré. J’ai hâte !

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