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Matin d'ivresse

J’ai connu, parmi tous les privilèges, la première lumière du matin le long de la rivière Saône. C’est un flot immobile, un géant endormi, retourné dans son antre après ses emportements de l’hiver, dont se souviennent encore les fossés et les rigoles inondées.

Huit kilomètres de bon chemin nord-est dans la fraîcheur exaltante de l’aube, quelques rares pêcheurs silencieux, en face, la plainte sourde de l’autoroute, ici la paix des rives, j’ai raison d’être là.

Passer le pont, immense, pour atteindre la Côte Mâconnaise. Après la longue musique de l’aurore, tomber de haut dans une grise bourgade inélégante, et aussitôt s’enfuir.

Grimper au plus vite sur les illustres coteaux, trouver de petites routes pour courir plus vite que le soleil, et tenter, à titre d’occupation mentale, de se souvenir à haute voix les noms des dix crus du Beaujolais, appris autrefois comme un crétin, pour avoir l’air d’un distingué œnophile, moi qui ne suis qu’un ilote ignorant.

La couleur du vin. La rêver. La peindre dans sa tête. Il fait chaud. Rêvasser.

Désirer la sensualité, imaginer la fraîcheur du breuvage antique dans le hanap, et le moment, tout à l’heure, où l’on y trempera les lèvres, et celui, à peine plus tard, où sa fragrance viendra délicieusement exalter la pensée. J’aurais aimé, en Thessalie, desceller doucement le bouchon d’une amphore, humer le fruit du travail du soleil et des hommes, puis m’en enivrer tranquillement à l’ombre de l’olivier.

L’effort inutile du matin invite à l’égoïsme. On cherche à se souvenir.

Chiroubles au nom qu’il faut mâcher, Juliénas en tablier d’empereur, Saint Amour en robe d’innocence… ma mémoire s’enfuit sous le soleil. Où sont les sept autres piliers de la folie ? J’aime le vin qui envole l’esprit, équilibre la dureté du monde, et soule, et tue aussi, je le sais. Je devrais faire halte ce matin dans une de ces caves aux lourdes senteurs de tabac et de miel, écouter les mots du vigneron, lamper quelques gorgées de la drogue heureuse et maudite couleur rubis, et m’endormir près du prochain lavoir, un peu gris. Mon voyage s’arrêterait ici.

Ce serait bien, finalement.

Mais on m’attend de l’autre côté de la Côte, et je dois vite atteindre la crête avant le plomb du jour.

A Chaintré, je bavarde avec quelques anciens aux bons sourires, puis dans les parcelles avec quelques ouvriers occupés à tailler les vignes, et moi je taille la route devant les hauts tracteurs qui bombardent les champs de brouillards maléfiques aux doucettes effluves. Le village de Chasselas, lové dans un vallon, enveloppé de renommée. La forêt, enfin ! Je rejoins la caillasse du GR, et arrive à la Grange du bois, chez Ladina et Rémy, les belles personnes qui m’accueillent pour une animation dans le jardin de leur maison d’hôtes.

Une heure de péroraison et de connivence avec le public autour des herbes du jardin.

Un bon moment, je crois. Une belle journée.

Ah ! Un verre de Pouilly-Fuissé, finalement…pour de vrai.

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