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Je prends

Morvan.

En Vérité, jamais je ne connaissais rien du Morvan. Oui, bien des fois, j’ai traversé ce pays rapidement, au retour d’un voyage familial, entrevu quelques collines, essuyé quelques brumes en disant, l’air entendu : « Ah oui, le Morvan ! ». Et puis j’ai filé, sans avoir rien avoir compris. Ce pays m’apparaissait comme un espace médian, un peu désuet, rude l’hiver, quand il n’y a personne, parisien l’été, quand l’autoroute crache son flux de bobos. De la montagne pour de rire, pas loin de la Métropole. J’étais bien sot. Mais aujourd’hui je ne peux pas mentir, ni me réfugier derrière mon masque de suffisance. L’immense avantage du voyage à pied est que, s’il vous donne les privilèges du temps et des plaisirs minuscules, il vous oblige aussi à l’humilité. Je quitte le col de la Croix de Messire Jean, à Uchon, dans le petit matin.

La nuit a gonflé l’océan de nuages, immenses, et c’est maintenant marée haute, évidemment. De lointains archipels émergent au loin, comme sur la Baltique à l’automne, et je navigue sur la route de la côte.

Je voudrais être Monet, et inventer ici la lumière. Ce matin, je le fais. Et tant pis pour les académies et l’institution.

Un phare, un sémaphore : l’église d’Uchon, déserte, ouverte, c’est si rare, aujourd’hui. Lieu de silence, de belle élévation, croisée des chemins, icône du Christ, admirable, l’orthodoxie me dérange, pourtant, déjà par ce nom : ortho-doxie, penser droit, moi le libertaire. Mais rien que pour mes souffrances et mes interrogations, dans cette lumière, ce matin, je prends. Je m’en arrangerai plus tard. Je prends.

Je m’en suis tellement pris, des tourmentes de la vie, ces deux dernières années ! Les consolations, je prends. Un panneau, je le suis : « Théâtre de verdure ». Je prends.

Plantations strictes d’épicéas, de Nordmann à la senteur de fraise. Bois coupé humant le miel, je prends. Je prends tout. Morvan, je prends.

Je dis Morvan et, dans le rythme lancinant du marcheur, je m’invente des étymologies celtiques, qui n’amusent que le chemineau qui s’ennuie. Mor-Van : mer de toutes les attentions, mère qui protège. Mor ar vro, conduis-moi, s’il te plait, de ton autre côté, sur ta côte Nord où j’ai rendez-vous dans quelques jours, là-haut, au pays inspiré, Vézelay, chez Max-Pol, chez Maurice, chez Jules, là où l’on m’attend.

Et Anost, bientôt, comme une anse au calme, espérée, après demain. J’ai hâte.

Je sais que Morvan me transporte, dès que je m’élève au-dessus des plateaux. J’ai traversé deux fois l’ennuyeux Mesvrin aux rivières admirables, et puis débaroulé d’un bord et de l’autre, remonté presque jusqu’à Autun, pour voir, et puis rebasculé au sud comme un pauvre culbuto : souffrir sous l’été de mai, 35 kms de solitude. Dormir ce soir à Saint Léger sous le Beuvray, enfin. Morvan me gagne, je crois.

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