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Musiques, musique...

Six heures du matin dans le massif du Folin, point culminant de la Bourgogne.

L’étape d’aujourd’hui est longue et je veux arriver de bonne heure.

C’est la « petite heure » du ciel qui hésite, celle du premier vent, juste avant le soleil, celle des chants d’oiseaux qui s’appellent et se répondent, celle des sources dont la musique est pourtant toujours la même, mais qui flatte mieux dans l’instant l’oreille du promeneur à chariotte.

Fermer les yeux, Oh ! Pas longtemps. Enregistrer la forêt qui se réveille, le craquement du bois mort et le chuintement du tapis de feuilles sous le pas, le tressaillement de la roue au saut des cailloux d’infortune, la respiration qui s’adapte à l’effort. Souvent, je parle à voix haute, maugrée contre les racines piégeuses, engueule les forestiers creuseurs d’ornières, félicite le sable pour sa compacité, lui qui me permet d’avancer plus confortablement, et finalement m’enthousiasme pour l’harmonie du moment. Personne sur ces chemins, pas un randonneur, pas un cycliste sur les routes traversées. Il est vrai qu’on est loin ici des grandes villes. Ô solitude ! Fredonner Purcell, et s’en faire une amie.

Le sentier de Grande Randonnée N° 13 descend dans le fond des gorges de la rivière Canche, et j’ai lu que l’itinéraire est signalé comme délicat. J’ai le temps, j’en ai connu d’autres, je tente l’aventure. Effectivement, très vite je comprends la difficulté de l’affaire et ma stupide prétention ! Les eaux du printemps ont nourri le torrent en abondance, les pierres sont glissantes, de vieux troncs détrempés sont autant de traquenards. Au bout d’un quart d’heure, il faut me résoudre à décrocher la brouette, mettre sac au dos et réfléchir : si je chute, qui viendra me chercher dans ce ravin perdu ? Ma belle traversée s’arrêterait là, tout seul, entre deux blocs de granit mouillés, le nez dans la boue, le cœur en déroute, à hurler des appels au secours que le torrent couvrirait. Quel con ! Heureusement, je repère une échappatoire sauvage, et parviens, au prix de quelques harassements, à me hisser sur la route, dont le goudron gris ne m’a jamais paru ce matin aussi délectable. Il était temps. Leçon, encore une.

Anost, petit bourg où l’on m’attend, enfin. Comme un port loin de tout, où la vie est préservée. Des commerces, des équipements, un hôtel, visiblement lourde référence de l’économie locale.

L’hôtel Fortin, une institution, à la fois gite, restaurants multiples, café, pompe à essence…

Dans la lignée des « hostelleries » des routes d’autrefois, ces haltes de roman où l’on laissait reposer les chevaux fumants après un long parcours. Il y a certainement peu de temps qu’on a effacé l’enseigne : « Ici on accueille à pied ou à cheval » …

Par chance, à Anost, l’éloignement des grands centres a protégé la vie, et on ressent ce délicieux et rare bonheur des villages de France, celui dont j’ai si souvent déploré la disparition un peu partout, devant tant d’enseignes fermées, de places désertes et de silencieuse résignation.

Monsieur le Maire, Jean Claude Nouallet, lui-même passionné d’ethnobotanique, a organisé ma venue : une déambulation pérorée dans les rues du village à la rencontre des herbes des talus. Elle réunit un petit public, et s’achève au lavoir communal. J’apprends l’usage que l’on faisait ici du compagnon rouge, ce Lychnis au nom bien accordé, qui m’accompagne sur les routes depuis tant d’années : dans le Morvan on donne ses graines aux chevaux pour qu’ils aient belle allure au concours ! Je le note ! Je comprends que le cher Axel Kahn, dont le récit des parcours pédestres a contribué à me mettre en route, ait apprécié sa halte à Anost : voilà un lieu inspirant et « respirant » pour les marcheurs qui écrivent, qui pourrait être un jour un écrin magnifique autour du phénomène grandissant de la très grande randonnée !

le compagnon rouge

Le soir, comme un cadeau, concert de musique baroque à l’église par l’ensemble Arioso, amateur au bon sens du terme. Au programme, outre mes chers et (trop ?) fameux et « Sauvages », issus des Indes Galantes, des extraits du « Stabat Mater » de Pergolèse, la musique qui sait consoler des immenses souffrances. Il n’y a pas de hasard.

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