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TOUT DIRE

A Vézelay, chez Jules Roy. C’est une maison d’écrivain, calme, intemporelle, à deux pas de la Basilique.

Plus grand monde ne lit Jules Roy, homme d’armes, d’Algérie, de lettres, ami de Camus, amoureux des femmes, de Dieu et grand tourmenté. Il a fait partie de cette noblesse d’intellectuels d’après-guerre, qui avait trouvé finalement autour de cette colline une lumière propice à l’inspiration, l’écriture, et à la création. Sur ces fauteuils usés ont pris place des illustres, Mitterrand, Pivot, Gainsbourg…

Sur ce bureau, dominant les terrasses qui surplombent la verte vallée de la Cure, l’écrivain, coupé du monde, a taillé son œuvre dans la souffrance. Petits objets du quotidien encore proche, bibliothèque disparate, ambiance d’ermitage et de travail, presqu’une odeur un peu lourde de vieux Monsieur : il n’est sans doute pas très loin. Je lis les paroles fortes, posées sur le bureau, comme une leçon donnée à celui qui prétend écrire : « Refuser de se laisser arrêter : quand l’écriture s’enraye ou s’enlise, forcer sans crainte de déraper, écrire quand même, mécaniquement, jusqu’au retour de la grâce ». A relire, à serrer les dents, à méditer. Ecrire, c’est physique. Sinon on fait de l’eau tiède. Je crois entendre à nouveau les propos de mon oncle Louis, l’artiste : « Tout dire, sinon rien n’est dit ». Une pierre de plus sur mon chemin.

Dans le cadre des « Rendez-vous aux jardins », j’accueille à l’ombre reposante d’un marronnier rouge quelques groupes de visiteurs au cours de conversations impromptues, pérorant sur les herbes cueillies le matin, les arnaques ecclésiastiques du sceau de Salomon, et l’art de fabriquer le vinaigre de sureau. Public très attentif et intrigué, propos ethnobotaniques disparates et ouverts : j’essaye d’offrir le plus possible d’ouvertures vers ce monde singulier des « sacrées plantes ». Bienvenue à mon « banquet des savoirs », braves gens, le parleur offre la soupe !

Vézelay, lieu de foi et de pèlerins, et de marchands du temple. Oui, la lumière de la nef, la richesse du tympan roman impressionnent. Mais comme souvent dans les hauts lieux touristiques, je suis déçu par le vide de l’âme.

Pour comprendre, revenir ici l’hiver, un matin de froid, de bonne heure. Demain, je quitte définitivement le Morvan, dont les monts ne sont plus ici qu’un souvenir, et me laisserai couler doucement à l’ouest, par des chemins que je pressens ternes, vers Clamecy, pour plus tard retrouver la Loire de mes amours anciennes. « Tout dire, sinon rien n’est dit ». J’ai du travail. Je dois tout dire, désormais.

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