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le soliloque des hautes herbes

En trois jours, maintenant, je dois rejoindre le Fleuve Loire.

Il faut tirer sud-ouest, par des sentiers de Compostelle peu fréquentés, souvent retournés à l’abandon, en fonction des pratiques des exploitants agricoles, essentiellement céréaliers.

Ce vilain terme d’« exploitant », est dénoncé avec raison par Claude Bourguignon, l’agronome éclairé, qui lui préfère cent fois celui de « Paysan », celui qui « fait » le pays, tellement plus juste. La campagne, ce ne sont pas que des champs et des fermes, c’est un territoire, des fossés, des haies, des talus, des tourbières, des vents, des bosquets et des chemins. Le productivisme massacre le paysage, et les gros tracteurs mâles violent la terre sans vergogne : aux volants de leurs énormes machines, les agriculteurs soumettent ce qui reste de l’humus à la pénétration un peu bestiale du soc de leurs charrues. C’est humain, celui qui conduit pour la première fois un Range Rover est le souriant Maître du Monde. Prisonniers du système, ils n’ont pas le choix, et les lobbies industrialo-bancaires, eux, savent bien faire danser les marionnettes.

Alors les chemins noirs, que dit emprunter Sylvain Tesson, disparaissent sous la première rangée d’orge ou de colza et le poids du profit : avancer dans leurs hautes herbes trempées par les orages de la veille devient un exercice d’obstination et de philosophie. Il faut anticiper au mieux la trajectoire pour que la charriote ne s’embourbe pas dans les ornières fangeuses, et réfléchir en même temps à l’avenir sombre de la ruralité. Les haies ruissellent déjà de prunelles, les millepertuis sont maintenant en fleur, dans les sous-bois, des myriades de hauts ornithogales, les asperges sauvages, explosent en riant. Il est peut-être encore temps d’agir !

Un instant, encore, s'il vous plait, Monsieur le bourreau !

J’entends la noire cohorte des pisse-froid, des résignés, des moucheurs de vinaigre, des fesse-mathieux, des sans-caresses, des morveux de l’esprit, des emberlificoteurs, dire que les jérémiades sont vaines, que tout cela est inéluctable, que les rêves sont passés, qu’on n’arrête pas le progrès, et que bientôt des drones minuscules remplaceront les abeilles disparues pour aller polliniser les fleurs.

On ne peut pas continuer à laisser faire, ni accepter qu’on détruise les trésors.

Je veux pour mes petits-enfants le chant du coucou et le parfum du sureau.

Je veux pour mes amis des bosquets secrets pour y faire l’amour.

Je veux des maisons de garde-barrière avec des perchoirs pour les oiseaux.

Je veux que les cons se taisent et partent marcher, en silence, dans les bois.

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