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Millepertuis, mille détours

Quand j’ai quitté les Alpes, le millepertuis était loin d'être fleuri. Aujourd’hui les bouquets de ses étoiles se dressent sur ses hampes drues : dans une dizaine de jours, c’est la Saint-Jean, et l’herbe éponyme doit tenir son rang !

Depuis mon enfance, j’ai toujours eu une affection particulière pour cette plante (en fait, il existe de nombreuses espèces), facile à repérer, à identifier, à récolter : sa relation au soleil, ses usages en médecine populaire, son efficacité en phytothérapie « validée » en font une excellente « porte d’entrée » dans le monde de l’ethnobotanique. La rencontrer chaque jour, plus ouverte, plus généreuse, et déjà flétrissant à la base des grappes, me comble. Non, cette année, je ne me rougirai pas les doigts en cueillant ses fleurs d’or, je ne déposerai pas les bocaux de sa fameuse huile sur le bord de ma fenêtre, plein sud, et je n’assisterai pas à la transmutation presque alchimique de sa macération : comment des fleurs jaunes font passer l’huile du vert pâle au rouge grenat ! Mais j’assiste tout au long du chemin à a lente éclosion de ses étoiles et c’est le plus beau des privilèges.

J’en viens à me défaire des notions de temps, de dates, de distances. Souvent, quand on me demande : « Mais en tout, ça vous fait combien de kilomètres ? », je devrais répondre « La distance exacte qu’il faut pour voir s’ouvrir tous les millepertuis », et ce serait beaucoup plus juste que toutes les indications de tous les podomètres. D’ailleurs, j’ignore de plus en plus la distance que je parcours : il y a tant à voir, tant de détours à faire pour apprécier le paysage, tant de sentiers détournés pour éviter les routes, tant d’improvisations pour se cacher au dernier moment de la pluie, ou du soleil, c’est selon, que la métrique randonneuse ne veut plus rien dire. Au diable les feuilles de route ! J’invente mon chemin au fur et à mesure : seules les étapes du soir sont définies. Je me goinfre de chemins, je joue avec les flaques, la boue, les balisages, les vieilles chapelles, les pompes à bière, les rares rencontres, pour me construire chaque jour un itinéraire intime et idéal, bien loin des topo-guides et des performances. Par chance, l’outil de mon corps fonctionne bien, beaucoup mieux qu’aux premiers jours, et j’ai du mal à penser que dans un peu plus de deux semaines, je respirerai le Noroît.

Pour l’instant j’ai quitté l’énorme machinerie de la Loire au nord de Gien, et bifurqué vers le Sud-Est. J’entre en Sologne comme un enfant qui rêve ; je me souviens de Maurice Genevoix, de la couverture cartonnée de « Raboliot », sans doute en édition « Club », sur laquelle une haie se miroitait dans un étang, tout cela couleur sépia. Je veux, j’exige, maintenant dévorer toute la Sologne, me fondre dans les bosquets trempés et le reflet de ses étangs, avaler des lieues de ses chemins tout droits, la tête vidée des choses médiocres et des jean-foutre, et ressortir guéri, lumineux et naïf, dans quelques jours, sur l’autre jambe de la Loire.

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