top of page

CANAL PLUS

Les hommes sont parfois extravagants.

Et les experts ont toujours raison, ou du moins le croient-ils !

Au XIXème siècle, après de savantes études agricoles, on entreprit le creusement du Canal de la Sauldre sur plus de 40km, pour transporter la marne destinée à neutraliser l’acidité des sols, sans que cet ouvrage gigantesque ne soit relié à aucune autre voie navigable ! Une aberration, un canal sans queue ni tête, sans « bief de partage », un long ruban clos avec pourtant de nombreuses écluses.

A Paris, on recruta des miséreux pour trimer sur le chantier, et surtout pour tuer dans l’œuf les insurrections ouvrières qui sourdaient dans la capitale. Tiens, Marc Ogeret est mort il y a quelques jours. Sa voix de révolte manque déjà. La Butte Rouge : « … c’quelle en a bu des larmes cette terre, larmes d’ouvriers, larmes de paysans… » Ces chants prolétariens me font toujours frémir, malgré Mélenchon. Et dire que leur travail de ces forçats fut inutile, puisque le chemin de fer arriva aussitôt ! Pourtant les experts, les Trissotins avaient prouvé… ! Je pense à eux ce matin, à ces spécialistes émérites, à ces politiques sûrs d’eux-mêmes, à leurs projets grandioses et vains, en suivant ce chemin où les bourricots ont tracté autrefois les lourdes barges pleines d’argile, maintenant devenu une piste défoncée par les ravages des sangliers.

Aujourd’hui les 25km de halage, ponctués d’écluses, de maisons réglementaires en briques presque toutes abandonnées, construites à l’identique, sont devenus en réalité des machines-prétexte à forcer la rêverie : parce qu’on n’a recours ici ni à la carte ni à la boussole, on laisse l’esprit en pilotage automatique, et se gouverner par la douce contemplation des berges : les toupets roses des bétoines, les constellations des marguerites, les aiguilles dressées des carex (qu’on nomme curieusement par ici « rauches »), les yeux fardés et minuscules des euphraises, les tapis de mélampyres au joli nom de recette sorcière, les crêtes jaunes des rhinanthes, les élégantes étoiles des fins hypéricons au bord de l’eau, font un spectacle pour les esthètes.

Parfois quelques cèpes de Bordeaux bien dodus me narguent, moi le randonneur sans domicile ni casserole, et je feins de les ignorer avec dédain. De temps à autre, un héron insolent ricane au passage de ma guimbarde promeneuse, et je continue l’air impassible. On m’attend là-haut, plus tard.

La Motte-Beuvron, injustement considérée comme symbole de l’ennui provincial.

Fin de partie. C’est ici que s’achève le bassin de Neptune-le-Petit.

J’ai marché cinq heures le long de l’inutile.

Et c’était bien.

Article mis en avant
Articles récents
Suivez nous
  • Facebook Black Square
bottom of page