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A l'élastique

Premier jour dans le Vercors. Autant Chartreuse est réservée et secrète, Vercors est ouvert, facile, du moins en apparence. Chartreuse est un bastion où s’écrasent les tempêtes de l’Ouest, Vercors est une citadelle calme qui accepte les tourmentes. Quand on prononce « Chartreuse », le mot d’abord chuinte, miaule, puis s’endort, s’efface comme dans une caverne.

« Vercors », au contraire, est un mot rond, égal, parfait, un mot où les gouffres sont cachés, mais qui caresse la langue. Chartreuse est cueillette, Vercors est culture : ici on débarrasse les champs de leurs pierres en en faisant des tas, là-bas, on laisse les cailloux et y paissent les vaches. Ici, j’observe que les pignons des maisons sont ornés d’escaliers de lauzes, nommés, je crois « redents », là-bas je sais qu’on les coupe pour mieux se protéger. Un pays se cuirasse, et l’autre tolère. Voilà ce que je regarde et ce que je compare ce matin en quittant le plateau d’Autrans par le pas de Pertuson. Etape facile, reposante, après ces trois glorieux derniers jours aux dénivelées fantastiques. Rêver, enfin. Une chanson revient, lancinante, évidente. Bashung, bien sûr. « On m’a vu dans le Vercors sauter à l’élastique… ». Il me manque tellement, le poète. Comme lui, humblement, j’ai dans les bottes des montagnes de questions, ou subsiste encore ton écho…Ton écho. Celui de Roxane pour Cyrano, celui de Laure réinventée par Pétrarque, celui de toutes les femmes aimées, des amours disparues ou imaginaires, signe sous lequel j’ai placé mon parcours dérisoire. Il y a ce matin dans la montagne, sur ce chemin apaisé, un parfum de draps froissés et de café chaud, mélangé à celui des orchidées et des violettes sauvages. Comment les Herbes et l’Amour peuvent-elles ainsi s’entremêler, s’inspirer et nous rendre meilleurs ? C’est pour moi l’évidence. Dans ce monde d’agressivité et de malveillance, il faudrait réapprendre à marcher, rien qu’une heure, à tous les haineux et les cons, sur ces chemins de paix. Leur montrer la perfection de la fleur de Stellaire, la douceur de la corolle de primevère, l’élévation du bouquet terminal du myosotis, l’admirable architecture orientale du Bugle des champs. Alors la reconquête de l’intelligence aura commencé. Et les soldats se feront troubadours.

On peut rêver. On doit rêver.


Mais je ne suis pas prêt à sauter à l’élastique.

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