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COMME LE SOLEIL SUR PLACE DE LA PRISON


Que ressentit-il en sortant de la vallée de l’Albarine, du haut de son cheval, le Philosophe ? Peut-être comme moi ce matin à la gare d’Ambérieu-en Bugey, une forme de libération. Cette Cluse des Hôpitaux est un sillon étrange, un peu inquiétant par ses villages comme des vieillards gris, sa ligne de train aux gares fermées, ses falaises perchées sur la forêt et les immenses cascades de ses éboulis. Cet hiver, tout était en brume, et heureusement je n’avais rien vu.


Ce matin, je respire comme on sort de prison. Ma prison. L’écrou intérieur qui me serre depuis des mois. Je titube, un peu groggy de soleil, et commence mon chemin de liberté. Pas de sentiers pour l’instant : je dois filer au plus vite si je veux être à Lyon ce soir. La première porte est cruelle : bords de routes constellées de papiers de MacDo, camions qui vous bousculent de vent, glissières qui ignorent le piéton : une seule solution : foncer ! Puis au plus vite, s’échapper par le côté, par les chemins des pauvres, ceux de toutes mes richesses. La paix, un moment de calme, puis après les étangs d’ étrange émeraude, le pont de Chazey, seul passage sur le Rhône, ou son équipage changea certainement de montures. Hier, auberge, rires de palefreniers, écus qui sonnent et pichets de mauvais vin. Aujourd’hui béton, vrombissements, noires enseignes vulgaires. Que c’est triste, une boîte de nuit en plein jour ! Se sauver encore par un minuscule sentier de voleurs, et courir jusqu’à Meximieux, avant de grimper jusqu’à Pérouges-la-médiévale aux touristes gras. J’erre quelque temps sous le vénérable tilleul qui enchante la place en décor de film, puis trouve l’église fraîche où j’ai envie, une fois encore de croire, en voyant la lumière des vitraux. Donne-moi la force. Je sais que Montaigne avait des doutes.

Je dégringole vers le fantôme de la gare triste, abandonnée par la vie : plus de képis réglementaires, de sifflets et de sacoches, plus d’odeur de tabac froid, ni de parler dans l’hygiaphone. Distributeurs, voix synthétiques, résignation extrême. Imaginer ce qu’il y a à l’intérieur ce bâtiment condamné, de cette carcasse aux volets condamnés et pourtant encore digne. Condamnée. Je suis certain qu’il y a encore quelques cartes postales oubliées collées sur le mur du bureau du chef de gare. Des baisers de Pampelune. On pense à vous au Lavandou. Plein le bec à Perros-Guirec. Mais le ruban adhésif, peu à peu, se détériore et les mots des collègues tombent un à un dans le noir et le silence des hommes et les voix de synthèse.

Lyon, trois kilomètres de traversée guerrière ; feux rouges, trottinettes, miséreux qui somnolent au pied des murs.

Rhône, encore, puis Saône, et enfin, enfin, honorer le rendez-vous de la Cathédrale Saint Jean que forcément, il y a plus de cinq siècles, salua l’Essayiste. Dans ces rues grand bruit , sur cette place redevenue blanche, j’ai mis mes pas dans les siens. Grâce à lui, j’avance.

Levée d’écrou.

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