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Croire


Je me suis extrait du fond de la ravine Toulourenc et me suis élevé, enfin, sur les manches du Géant. Je croyais que les chemins y seraient sombres et tourmenteux : or, bien que déserts, ils sont larges, clairs, et bien tracés pour l’exploitation forestière. La pente est douce et la marche facile. Presque trop. Comme un regret, j’ai en mémoire l’épique récit de Pétrarque, au XIVème siècle, ses frayeurs, ses doutes et ses échecs ! Prétendre atteindre le sommet d’une montagne était alors inédit, voire incongru. Le dôme du Chauve, avec son phare météorologique si reconnaissable, a disparu depuis longtemps dans la forêt verticale, et je monte léger, aérien, presque trop facilement, drossé pourtant par le vent qui glacial qui, tout autour, fait bruire et grincer les immenses sapins. A un moment pourtant, la large piste rejoint la draille qui vient de Malaucène, et devient alors un étroit sentier dans la garrigue, usé par les marcheurs millénaires. Les cailloux, les racines y sont comme curieusement scellés dans la terre, et le calcaire, affermi par l’érosion et les pas des excursionnistes, dessine comme un chemin fossile, une « Via Gloriosa » de toute éternité. Pétrarque est passé par ici, c’est sûr. Le poète, je sais, gardait dans sa musette, comme de l’eau pour la soif, un petit ouvrage de Saint Augustin. Moi j’ai une anthologie de poésie amoureuse comme viatique, dont je me sers pour déclamer insolemment en égoïste quelques pages d’Eluard, d’Aragon ou de Francois Cheng dans les lignes droites pas trop pentues. Chacun sa méthode. Ici, peu de fleurs, la forêt est trop dressée, trop soumise à l’homme ; seules quelques sympathiques hépatiques, pourtant, telles un clin d’œil à mes premières falaises du Vercors, il y a deux semaines, il y a si longtemps. Le col du Comte, paix dans la tempête, le plateau du Mont Serein, comme son nom l’indique, où je fais halte ce soir, pour prendre mon temps, revenir doucement dans celui des hommes. Les hommes en qui il faut croire, malgré leurs errements, leurs folies, et leur inconséquence. Ils « vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, le circuit de l’Océan et le mouvement des astres et ils s’oublient eux-mêmes », dit Pétrarque en citant Saint Augustin. Comme ces propos résonnent, en nos temps d’individualisme et de gaspillage. Croire en la jeunesse, en la solidarité, en la sobriété, en la poésie, en l’amour, et merde ! Vive l’écologie ! Demain matin, je partirai à quatre heures pour atteindre le sommet, et peut être, si le temps est clair, voir encore le soleil incendier les Alpes.

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