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GAZELLES, MULET ET CHEMINS PERDUS


Pourquoi grimper sur les montagnes ? Un célèbre alpiniste, Walter Bonatti, je crois, répondait « Parce qu’elles sont là… » Et il avait raison ! Enfant, on veut atteindre le haut du talus ; plus tard, on veut aller au sommet de la colline. Parce qu'elle est là. Alors les dés sont joués pour la vie. Ce matin, en douce, je fais une fois encore défaut à Montaigne, lui qui regardait à peine le paysage, et j'entreprends de traverser le sommet du Puy de Dôme. Ce sera le point le plus haut de mon parcours. Sur le chemin des muletiers- Il n’y a plus guère de muletiers, surtout par cette brume épaisse-, c’est moi qui suis le mulet. Les fringants Clermontois adeptes du trail, font leur sortie du samedi. Je les croise, tout nimbés d’embrocation camphrée, chaussures fluo, bâtons en carbone, et cardiofréquencemètre en sautoir, quand ils dégringolent en courant du mythique sommet. Moi je monte au pas lent du mulet. Ils sont gazelles, je suis bardot . L’usage veut que sur un chemin de montagne, on se salue courtoisement entre promeneurs. Ils doivent l’ignorer et ils restent muets à mes civilités. Etrange activité que le trail, qui isole du monde des vivants. Il est vrai que le brouillard a tout effacé du paysage. Sans doute aussi du savoir-vivre. Grincheux, va ! Au sommet : rien là-haut, le monde n’existe pas. La bruine grise. En descendant sur l’autre versant par la forêt de Mazaye, je choisis les sentes les plus douteuses, les plus en pointillé sur la carte, pour plonger dans cette montagne qui m’intrigue et que je tente de comprendre. Quel jeu risqué, et quel bonheur de trouver la trace ! Quoi, après le prochain virage ? Mais y aura-t-il d'ailleurs un prochain virage ? Flore magnifique : aspérules, pulmonaires, euphorbes et parisettes. Parfois les émouvants indices de la vie rurale disparue : restes de cabanes de bergers en pierre de lave empilées, chaudrons de charbonniers, autant de preuves qu’on a autrefois habité ici. La forêt peu à peu envahit ces restes sous la mousse, comme le drap avec respect qu’on dépose sur un mort. La voix de Bashung dans la tête. Madame rêve. Ivresse du moment. Chemin minuscule, presque perdu, s’il te plaît, ne t’arrête jamais. Je veux jouer encore. Montagne si loin du monde. Toi, ancien volcan devenu trop vieux…

Ne me quitte pas ! A la halte, plaisir aussi de retrouver la civilisation : bavardage avec un passant, qui s’appelle Yves. Il habite ici et voit changer les temps. Il a un bon sourire. Plus j’aime la solitude dans la forêt, plus j’aime rencontrer les gens. "Le voyage pour se frotter et se limer la cervelle contre celle d’autrui ", a écrit Montaigne. Il a raison : il n’est de voyage que de partage.



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