IF I WAS VENUS ...
La jeune demoiselle était presque assise
A la croix des allées du parc à la Française.
On pouvait observer que pour unique tenue,
Celle du jardin d’Eden, elle avait revêtu.
Les journées s’écoulaient, et les visiteurs
Photographiaient la belle, hypocrites voyeurs,
Songeant à leur jeunesse, aux espérances perdues,
A la douce indécence de cette femme nue.
Tout aurait été bien dans le meilleur des mondes,
Si on ne l’avait pas placée dans une rotonde
De six arbres taillés à la façon topiaire
Selon les instructions de la propriétaire.
Ce bosquet pour Cythère, cette allégorie,
Plutôt destinée à d’archaïques écrits,
Déplaisait à la nymphe, qui trouvait abusif
D’avoir pour entourage le mythe de six ifs.
- « Permettez-moi de honnir l’ordre militaire,
Le bruit de la cisaille me met en colère.
Celui des taille-haies est la pire des choses.
De la géométrie, j’en ai plus que ma dose ! »
Se lamentait la statue, résignée à son sort.
Son bronze s’oxydait, en attendant la mort,
Mais un soir, elle entendit un cri dans le clocher :
Une chouette-effraie lui disait de se sauver.
Elle se redressa, oubliant ses courbatures
- « Mais ça fait si longtemps, trente ans que cela dure !
Les moqueries, le vent, et puis souvent la pluie :
Je m’en vais de ce pas, chercher quelques habits. »
Le lendemain, on trouva nu le piédestal :
Vénus avait quitté son carrefour central.
A sa place on trouva, posé sur une chaise,
Un ouvrage savant : « l’Art des jardins à l’anglaise ».
L’If, Taxus baccata L. Au Jardin du Prieuré, au Bourget du Lac (73), le 4 mars 2021
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