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LA FUGUE DES HAUTES CHAUMES

Il commence à peser lourd, ce Montaigne ! Avec ses sentences pontifiantes et sa suffisance satisfaite ! Alors j’ai voulu fuguer, prendre liberté et m’écarter pour une (deux ?) étapes de son itinéraire. Il prétendait voyager pour son plaisir, et se promener pour se promener, eh bien moi aussi, que celà vous plaise ou non, Monsssieur, je vais improviser ! J’avais gardé souvenir de séjours de jeunesse en Haut Forez, dans ce village de Chalmazel où je découvris le bonheur d’être comédien dans un petit festival de théâtre. J’étais là enfin à ma place, sur les planches des baladins. Le jour, nous répétions dans la montagne, le soir nous jouions dans la cour du château. Nous avions faim, nous osions tout, nous faisions l’amour aux textes et puis l’amour tout court ; les couples s’inventaient, se dégrafaient, et puis se séparaient dans la belle fête. Passez chemin, Dame Nostalgie, je n’ai que faire de vos larmes ! Ce matin je veux seulement grimper sur ce plateau des Hautes Chaumes où la burle, dit-on, déplace parfois des pierres levées : cinq cents mètres de dénivelée pour soulever le pendrillon de bruine. Après la forêt, d’un coup, ici c’est la violente terrasse du ciel : genévriers meurtris par les tempêtes, alisiers et hêtres brûlés par la neige et le vent, terres noires où le pied se perd, tourbières et callunes partout, font une toundra maléfique, fascinante, où il ne fait pas bon rester immobile. Et puis de tous côtés, comme une demande en pardon, des constellations de jonquilles joyeuses comme des rires

d’enfant ! Je cours, je traverse l’Enchanté. Et la forêt revient, fin des sortilèges. Doucement je me dirige vers la vallée de Noirétable. Rencontre avec Jean-Marc, qui, avec application, flèche bénévolement le sentier de ses réglementaires rectangles rouges et blancs, propres aux sentiers de Grande Randonnée. Heureusement qu’il en est, de ces personnes qui font un peu, un tout petit peu, le monde meilleur ! Celui-ci en a tant besoin. Il a tant besoin de balises ! Plus tard, quelques pèlerines de Compostelle épuisées : les chemins ici sont cruels, c’est la Montagne. j’aimerais leur donner de ma force, de ma chance de marcher sans trop de difficultés avec un gros sac. Moi, c’est un philosophe vieux de cinq siècles qui me pousse au derrière. Il m’a perdu aujourd’hui, il me retrouvera demain.



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