LE BUCHERON ET LA FILLE DU LUTHIER
Un bucheron s’était engoué
De la fille d’un luthier.
Il lui disait : « ma bien aimée,
Je te ferai un escalier
Pour accéder à ta chambrée ».
Mais le père, un peu réservé,
Sur l’avenir de sa lignée,
Prit à part le cavalier :
- « Puisque tu veux jouer menuisier,
Avant de faire ton escalier,
Il faut que tu ailles couper
Une épinette bien élancée
D’une hauteur de cinquante pieds.
En son cœur tu vas débiter
Une belle planche bien serrée
Avec laquelle je vais créer
Un violon très singulier,
Au son duquel ta Dulcinée
Dansera une fois mariée. »
Le bûcheron, déterminé,
S’enfonça, raquettes aux pieds
Dans la forêt toute enneigée.
Pour y chercher des jours entiers
L’épicéa tant espéré.
Trois jours plus tard dans la vallée,
On entendit au loin hurler
Le prétendant enfin comblé.
Quand il eut fait l’arbre tombé,
Il le fit doucement glisser
Jusqu’au mur de l’atelier
Du luthier un peu madré.
Avec sa scie bien affutée,
Il découpa d’un fin doigté
La plus belle planche en qualité.
- « Le restant, je vais le garder
Pour aménager l’escalier ! »
Dit le garçon presque fiancé.
- « Hélas, hélas, manouvrier,
Pour un violon de qualité,
Ne sais-tu point qu’on doit sécher
Son bois pendant quatorze années ? »
Fit le parâtre, un rien futé.
Un capitaine de l’armée,
Passant par-là, après l’été
Au volant de son petit coupé,
La demoiselle a emmené.
L’amour parfois est bien pressé !
Si un beau jour, vous voyagez
Par ce pays de forestiers,
Vous pourrez voir un escalier
Pour accéder à la chambrée.
C’est que l’amoureux congédié
Serrant les dents, beaucoup blessé,
Avant de quitter la contrée,
Ajusta les quatorze degrés
Qui au bonheur l’auraient mené.
Et si le soir, vous y restez,
Une complainte vous entendrez,
C’est un violon bien attristé
Qui pleure sur ces destinées
Qui sont injustes aux ouvriers.
L’épicéa, Picea sp, au village de Tencovaz, à ENTREMONT LE VIEUX, le 8 janvier 2022
© Texte et Photos Yves YGER, janvier 2022
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