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LE SORBIER ET LE PHOTOGRAPHE




Les arbres ont leur pudeur et craignent l’indiscret :

J’en ai pour preuve cette histoire inattendue,

D’un sorbier, dont on sait les magiques vertus

Certains se souviendront de ce curieux sujet.


Un prétendu artiste, genre paparazzi,

Photographiait des créatures toutes nues.

Qu’allez-vous croire ? Ma fable est de bonne tenue !

En botanique, on méconnait les pervertis !

Il prenait des clichés du monde végétal :

Selon lui, l’hiver était saison idéale,

Quand feuilles et fleurs, depuis longtemps disparues

Découvrent les branches dans leur forme congrue.


Il avait repéré, sur le bord d’un alpage,

Un sorbier solitaire, un phare, une vigie

Toute déshabillée. Ce frais après-midi,

L’arbre dormait encore dans son ermitage.

Si vous vous promenez dans son champ de vision,

Restez distant ! Un sorbier en hibernation

Garde un œil attentif ! Il vous surveille vraiment !

On sait par les récents travaux de grands savants,

Depuis Francis Hallé à Peter Wohlleben,

Qu’il entend, qu’il comprend, et d’autres phénomènes

Laissent penser que ses rameaux secondaires

Pourraient ressentir les changements d’atmosphère.


L’homme au Leica s’approche. Et c’est fort imprudent.

Est-ce hallucination ? Aussitôt on entend :

« Non mais je vous en prie, Monsieur le photographe !

Que l’été, les adeptes de la randonnée

Toujours me portraiturent, c’en est déjà assez !

Gare à mes jeunes branches, ils vont prendre des baffes !

Mais au cœur de l’hiver, quand je suis dénudé,

Qu’un voyeur vienne atteindre à mon intimité,

Cela dépasse tout ce qui est supportable.

Votre objectif, Monsieur, est des plus misérables ! »


Le maître du numérique s’en trouve tout interdit.

Un arbre qui vous cause, ce n’est guère coutumier !

Pour se redonner vaillance, pour se réconforter,

De l’incongruité de ce palabre inouï,

Il cueille sur un rameau quelques baies oubliées :

- Il a lu quelque part qu’on peut les consommer -

Et bravement les gruge en forme de vengeance :

Il ne peut accepter une telle arrogance

De la part de celui qui n’est qu’un végétal !

Revenons, s’il vous plaît dans le monde normal !


Qui a sucé des alises, qui a croqué des cormes,

Dont inachevée est la fructification,

Un jour d’égarement, de mortification,

Comprendra le désappointement de notre homme.

La raideur de leur goût, l’âpreté de leur pulpe,

De celles de l’émeri, d’un coup ça les disculpe !


Hélas, s’il n’y avait que châtiment en bouche !

Mais un peu plus bas se poursuit la punition :

Bientôt l’estomac en feu, un vrai truc de ouf !

Au-delà du gosier continue l’abrasion !

Quelques minutes après, c’est le billet retour :

La gorge en cataractes, vous appelle au secours !

Mais la sordide intrigue ne fait que commencer :

C’est dans les tréfonds que le drame va se nouer !


Et le photographe abandonne son matériel,

Courant vers la vallée tel un vrai dératé,

La culotte en déroute, dégrafées les bretelles.

La vie n’est pas loyale aux talents ignorés !


Oui, les baies de sorbier, on peut bien les manger,

Mais seulement si l’automne fut ensoleillé !

Et il faut les faire cuire dans un chaudron de cuivre

Si l’on ne veut pas connaître une issue explosive.


Abandonnant la photographie botanique,

Notre photographe, depuis, apprend la musique...



Les sorbiers Sorbus sp

L’arbre présenté en photo est un hybride, assez fréquent, du Sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia) et de l’Alisier blanc (Sorbus aria). A la Station du Granier, à ENTREMONT LE VIEUX (73), le 1er mars 2021


© Texte et photos Yves YGER, février 2021, Toute reproduction à but commercial interdite



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