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LYSIMAQUE ET GUNNERA

Heureuse, comme Lysimaque, est fière de son feuillage, Et ses racèmes jaunes, aux coeurs de fleurs vermeil. La belle se cultive, mais à l’état sauvage, Elle veut la terre humide et sa tête au soleil. Donc, une de ces belles au patronyme hellénique Poussait contre un vieux mur sans qu’on la dérangeât, Jusqu’au jour où le jardinier s’offrit chez Botanic Une drôle de rhubarbe qu’on nomme Gunnera.

Surprise d’avoir pour voisine ce curieux phénomène, Avec ses larges feuilles, leurs pétioles à écailles, Et leurs limbes râpeux en énormes éventails, Elle l’entreprit sur son histoire, ses voyages, ses origines. Hélas ! la demoiselle ne parlait que l’inca, Le portugais à peine, et un peu le quechua.

Il plut cette année-là, et l’eau est généreuse Pour l’herbe amazonienne qui enfle, se déploie. - N’est-ce pas normal pour une plante d’être plantureuse ? - Et bientôt la voilà qui envahit l’endroit, Cachant bientôt Phoebus à la primulacée, Qui rampe, souffre, se tortille, et crie : « assez ! » - « Eh ! Señora, laissez-moi donc un peu de place ! Ici, c’est mes racines, je suis une autochtone, Vous êtes une migrante, et non pas la patronne ! Respectez nos usages, n’occupez pas tout l’espace ! » Mais la gunnère s’en moque, ignorant cet idiome, - On n’entend paroles végétales que dans les fables ! - La voilà qui prospère, et bientôt montre ses cônes. Pour dame Lysimaque, ça frise l’insupportable ! - « S’il vous plaît, laissons, laissons entrer la lumière Comme presque le chantait Monsieur Julien Clerc ! »

Or, un amoureux, passant près du talus Qui conduit à sa belle, voulait faire un bouquet, Souhaitant ravir son cœur, et peut-être un peu plus. Voyant l’endroit désert, entra au jardinet, Et se mit à cueillir campanules et marguerites. Pardonnons-lui, c’est humain : sa passion l’habite ! Pour parfaire son offrande, il cherche des fleurs jaunes : C’est la couleur du bonheur, celle de la richesse. Pour Dulcinée, il veut le plus beau des royaumes. Vite, des fleurs d’or, sinon l’amour, fini, s’affaisse !

Et, parce qu’elles étaient cachées sous le monstre d’Amérique, Quichotte n’aperçut pas les hampes de Lysimaque. Et comme il était fougueux, qu’il voulait aller vite, C’est avec des boutons d’or qu’il compléta sa traque. C’est ainsi que fut sauvée l’herbe aux écus : Parce qu’une étrangère, un peu embarrassante, L’avait cachée aux regards d’un chevalier perdu, Qu’il est mieux d’oublier toutes les passions pressantes.

Mon ami, ose, ouvre ta porte à l’étranger : Bien sûr, il rit trop fort, et il est maladroit. Il n’a pas tes mots, mais il sait aussi danser. Il sera là un jour, et tu refleuriras.



La Lysimaque, Lysimachia vulgaris Le Gunnera, Gunnera manicata Rue Saint-Malo, à Brest (29), le 8 juillet 2021 © Texte et photos : Yves Yger, Juillet 2021 Toute reproduction à but commercial interdite



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