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Un matin à Nohant

J'avais fait la promesse. De bonne heure, j'ai quitté La Châtre, jolie petite ville caressée par l'Indre, où je suis arrivé la veille par l'amont, admirant ses maisons aux petits jardins se riant de l'eau qui passe, ses petits ponts, ses biefs et ses moulins, le tout donnant à ce côté de la ville une allure de petite Bruges, que l'on quitte par un long cheminement apaisant au bord de la rivière. Toute cette étape est un enchantement inattendu. Le sentier est parfois mal tracé, envahi de joncs, la chariote peine et s'enfonce dans la boue, mais en un peu plus d'une heure j'arrive à Nohant.

J'avais gardé l'image de la petite église, à l'architecture presque enfantine, sur une place en miniature. Dans ma tête, elle était en noir et blanc, souvenir sans doute d'une photo d'autrefois, peut être entrevue dans un wagon SNCF du temps des trains à compartiments, entre le Viaduc de Garabit et les remparts de Saint Malo. Ce matin, il fait beau et le village est en couleur. Personne. Le temps s'est arrêté à la gare imaginaire du passé. La grande maison, dite château, où habita George Sand, est un peu austère avec ses grands volets fermés et ses hortensias trop sages.

J'approche du petit cimetière où veillent quelques vieux ifs. Ici dort toute une tribu, façonnée d'histoire, de joies et de drames, et bien sûr, évidente, au centre, massive et sobre à la fois, la lourde pierre noire qui marque l'endroit où repose la Dame.

Parfois, lorsque j'approche de certains arbres aimés, je ressens lorsque j'entre sous leurs frondaisons une sorte de vibration intérieure, de sensation à la fois douce et bienfaisante. J'éprouve ici en ce moment auprès de ce monument la même élévation, la même force claire.

Ce matin, mon oncle Louis, qui m'est si cher, m'a envoyé ces quelques mots, cueillis dans un ouvrage de Sand :

« Regarde le ciel, il te voit.

Embrasse la Terre, elle t'aime.

La vérité c'est ce qu'on croit.

En la nature c'est toi-même. » *

Je dépose respectueusement sur la dalle quelques feuilles de pervenche du jardin de Rousseau. Malgré leur voyage chaotique, quelques-unes sont restées bien vertes. Vivantes même.

J'erre encore un peu dans le parc, du côté du poulailler et du bassin, imaginant la vie d'autrefois, goûtant avec fringale ce temps suspendu, pensant à cette époque d'insouciance et d'injustice, où les jardiniers pouvaient être renvoyés sur un coup de colère, où être riche donnait suffisance, liberté et droit de se construire ici un paradis. Une partie de la contradiction de la « Bonne Dame », dont la vie permit de faire aussi progresser tant de causes.

Finalement, je reviens au cimetière et cueille pour mon herbier un petit rameau de l'if qui gardait le tombeau, et reprends ma route vers le nord.

If, pervenche. Sempervirens.

La vérité, c'est ce que l'on croit.

Yves YGER

* À Aurore, Extrait de Contes d’une grand-mère, George Sand, 1873.

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