Monsieur Lebon
Le matin est propre à la randonnée et à la contemplation, quand la fraîcheur garde la mémoire de la nuit dans les sous-bois : c’est le cas ce matin en quittant Pamiers la Bruyante, par l’abbaye de Cailloup.
Mais dès qu’on a atteint la crête, le cagnard devient tyran, écrasant tout sous ses rayons. Marcher alors oblige à calculer l’ombre des arbres, à ralentir son pas dans les montées, à mettre et enlever son chapeau pour se protéger et se ventiler alternativement, dans un exercice mental et physique obligatoire, faute de quoi il faudra s’arrêter. J’ai pris l’habitude de marcher lentement et de faire peu de pauses : traversant le plateau au rythme du baudet, je gagne la « serre » qui conduit, depuis le hameau du Barou jusqu’au village de Pailhes, où j’espère avec une impérieuse nécessité tremper mes lèvres dans la mousse blanche d’une pinte, réconfort mérité après la mortification matinale.
Hélas, quatre fois hélas ! Pas de pompe à bière dans ce village ! Pas de station-service pour les soiffards à charriotte ! Ici pas de place pour l’hédonisme : même la fontaine publique indique avec cruauté : « eau non potable ».
Désespoir sous le soleil.
Heureusement, je rencontre Monsieur Lebon, comme son nom l’indique, qui rentre du boulot. Avec une grande gentillesse, comprenant mon désarroi, il remplit mes bouteilles d’eau, m’offre un café, et je rencontre sa femme et sa fille Flora, qui aura bientôt six ans. Monsieur Lebon qui souhaiterait tant retourner à la Réunion. Monsieur Lebon qui aime faire son potager et soigner ses tomates. Monsieur Lebon qui me propose de m’avancer sur la route jusqu’à la prochaine station-service. J’accepte avec joie, car la chaleur m’interdirait d’aller plus loin ce soir. Un saut de puce automobile jusqu’au Mas d’Azil : il faut dire « Masse » d’Azil, sinon on est un parisien. Je gagne une étape. Je gagne surtout le bonheur d’avoir rencontré Monsieur Lebon, à la générosité simple et belle. Et quand on a une fille qui porte le nom d’une déesse des fleurs, on pouvait le prévoir.