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Heures propices

Dans le petit matin, narguer l’énorme saurien minéral qu’est la Roche de Solutré endormie est un plaisir rare.

Plein Nord par un très bon chemin ombragé : la pierre change peu à peu de structure, adieu le calcaire, voilà les premières digitales pourpres, à peine écloses, signe du sol cristallin qui approche.

Pas un randonneur sur cet itinéraire égoïste, majestueux, j’avance vite ; le lourd château de Pierreclos, doré dans la prime lumière, impose d’un coup sa suffisance féodale au bord de la vallée. J’y passe, et les gloires sont enfuies. Propriété privée. Privée de quoi ?

Je me suis promis d’aller un peu plus haut, dans le bonheur de ce jour couleur améthyste, sur les pas de Lamartine, le poète aux larmes de belle métrique, dont j’aimais autrefois déclamer le lyrisme de poitrinaire -dixit Flaubert-, et l’homme politique oublié à l’injuste destin. Lire Lamartine est désuet, l’apprendre paraît aujourd’hui ridicule, et pourtant longtemps je suis allé à Tresserve, au jardin du Poète, au-dessus du Lac du Bourget, et j’ai aimé, contemplant les eaux grises, me répéter les mots des Heures Propices.

J’ai toujours pensé qu’on trouve les racines des hommes – et pas que des Grands- dans l’histoire de leur enfance, et j’avais envie de toucher du regard l’horizon de Milly, comme j’ai eu besoin de ressentir celui de Nohant chez Sand et des Charmettes chez Rousseau. J’y arrive sans m’y attendre, par le haut, découvre le vieux clocher qui découpe les vignes, et me range au pied du vénérable cèdre du Maître, sous lequel trône le buste de profil du Grand Incompris.

Un alexandrin, déchiffré sur une plaque votive

en plexiglas ternie, envahie de mousse etde lichens : « Tous les arbres ont une histoire, et toutes les pierres ont un nom ». Clin d’œil ! Le penseur, prétendument phtisique de l’esprit, a malgré tout, pour moi ce matin, de belles intuitions ! Certes, des mots et des idées il n’a pas osé briser le plafond de verre. Non, il n’a pas tenté de braver le soleil en face, mais il a fait ce qu’il a pu, et il l’a bien fait, et le mépriser aujourd’hui est inique. La grande maison, bien sûr, est close derrière la grille des médiocres, et cela n’a guère d’importance. Un café double « chez Jack », le bistrotier local, ma tête contre le mur qui réchauffe la nuque, à s’imbiber de l’image de la vieille église romane, et puis, plus loin, pas très loin, de l’horizon brouillardé par les vignes, comme sans doute a pu le faire l’enfant futur écrivain de sa fenêtre, il n’y a pas si longtemps, quoi, il y a deux cent ans, nos arrière-arrière grands parents ? Hier. Il existe des photographies d’Alphonse de Lamartine. J’en ai vu, il me semble. Se souvenir longtemps de ce moment-là, précieux, universel. Et puis continuer, raccrocher la chariotte, rejoindre, par facilité, la « Voie Verte » vélocipédique, qui remplace l’ancienne ligne de chemin de fer de Mâcon, s’y glisser, comme un voyageur clandestin.

Rêver au passage -à niveau- sur l’inutile maison du garde-barrière, désormais abandonnée, et de son jardin envahi par les ronces, « jardin qui n’est qu’un jardinet », écrivait le cher Franc-Nohain dans une bluette oubliée mais charmante!

Après six kilomètres, dans le tunnel des Bois Clairs, au nom d’oxymore, s’offrir, pendant un bonne demi-heure de fraîcheur trempée et nocturne.

Et puis débarquer à Cluny, enfin, un peu hébété, dans une ville grenouillant de touristes à casquettes et smartphones , pour qui le monde monastique est bien loin, mais à qui on cherche à vendre, avec maladresse et une certaine arrogance institutionnelle, les images virtuelles des gigantesques sanctuaires détruits.

Il n’y a presque rien à voir,ici, tout à réfléchir. Prier, pour ceux qui savent le faire. Heureusement, on danse cet après-midi à Cluny : un programme de danse contemporaine, ouvert à tous, au pied des ruines. L’Art, la Vérité, la Vie, quand même.

Ah, mais !

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