Zone blanche et hommes en noir
Trois jours à l’Abbaye de la Pierre-qui-vire. Une pause bienvenue sur ce parcours, après les longues étapes et les reliefs morvandiaux, éprouvants pour l’organisme.
Je ne chercherai auprès des moines je ne sais quelle révélation ou onction cisterciennes ; je suis simplement venu ici « en paix », comme on dit être « en mer » ou « en montagne ».
J’ai tellement été bousculé ces dernières années par l’assaut de drames proches, et tourmenté par la camarde qui me tourne autour avec sa laide face. J’avais besoin de calme, de temps, de silence, pour comprendre, tenter d’y voir clair, et… me reposer !
Je cherche sans succès les œuvres du sculpteur Marc Eynard : le moine-hôtelier, qui sait que cet artiste a effectivement travaillé ici, m’explique qu’en matière d’architecture, bien des motifs architecturaux ont été restructurés, remisés, remplacés, et que l’art chrétien de l’immédiat après-guerre était bien pesant. Sic transit gloria mundi…
Mon chemin continuera malgré tout.
Ici ni téléphone, ni télévision, ni de réseau, ni d’internet, ni actualités, ni météo.
C’est l’île blanche, pas de barres en haut de l’écran, Zéro D.
Pour combien de temps, ce privilège ?
Ecouter les scansions grégoriennes me fait du bien. Qu’importent les paroles, qui paraissent souvent creuses, répétitives, larmoyantes et pâles de sens sacré, surtout psalmodiées en langue d’aujourd’hui : l’important est la pleine austérité du chant, qui monte sous le transept et ouvre l’âme -ou ce qui en tient lieu !- vers une spiritualité qui éclaire. Non, cher Blaise Pascal, je ne fais pas semblant de croire, et d’ailleurs je ne crois toujours pas ! Mais j’avance ! Voir, dans notre monde d’immédiatetés revendiquées, de violences et d’immenses solitudes, cette vingtaine d’hommes, jeunes et vieux, vêtus de noir à la
« coule » ( c’est le nom de leur habit !), ayant fait pour leur vie ce choix commun et insensé, de vivre ensemble loin du monde, et de se réunir six fois par jour pour louer celui qu’ils nomment Dieu, depuis l’office de Vigiles, au mi-temps de la nuit, jusqu’à Complies en soirée, dans le chœur de cette église en fait assez quelconque, pour aucune autre raison que celle de leur foi partagée, est un enseignement lourd de sagesse.
A quoi servent les moines ?
A rien, en fait, sinon à émettre un doute, et c’est essentiel.
Tous les rites m’indiffèrent ou m’agacent souvent, et je sais être en pleine contradiction : comme mon père autrefois, je vais depuis longtemps de chapelles en lieux sacrés, de basiliques romanes en monastères perdus, et n’y trouve jamais de certitude, mais seulement les témoignages poignants de ceux qui ont été ou sont en quête, et leurs traces m’interrogent.
En quête, au fond, c’est ça qui est important.
Sortant de Vêpres, je relis Eluard, et il me semble que ses mots sonnent plus clairs.