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Ad augusta per angusta

Il était là, et je ne l’avais pas vu. Mafflu et bleu dans la lumière de l’aube. A peine ai-je mis le pied sur l’alpage de la Montagne de la Lance qu’aussitôt il tyrannise l’horizon, massif, écrasant, presque laid. Son sommet n’est pas blanc, contrairement aux conventions des cartes postales. Il est lilas, presque violet dans le contre-jour. La calotte si reconnaissable, l’antenne dressée comme un amer à toutes les tempêtes, les pentes lourdes, comme affaissées sous trop de ruines. Ventoux qui effraie, Ventoux qui emporte. Plus que deux jours. Sur la crête-mirador de la Lance, les rafales du matin gueulent comme des vigiles découvrant un intrus, les arbres se déforment en chimères, les fleurs n’osent sortir sous le vent trop brutal, un vautour veille sur l’avant-poste de la forteresse. Ambiance. Coupe-vent, capuche. Même pas peur. Descendre dans la vallée pour oublier la tempête. Là, très vite, c’est l’été de Giono et des sources secrètes. Passer la main dans les hélichryses d’or et humer leur senteur pesante. On dit que l’odeur de la fleur évoquerait le curry. Non, c’est un leurre, une imposture. Elle est différente, plus subtile, empyreumatique : une senteur complexe de brûlé, de tabac et de térébenthine. Je l’ai reconnue entre toutes : c’est celle de l’armoire où mon grand-père Siméon rangeait ses peintures, encaustiques, céruses et autres huiles siccatives. Enfant, j’allais m’inspirer dans son atelier. Ce matin, j’ai rouvert la porte. Vingt kilomètres, 1200 mètres de dénivelée, quatre heures dans la tempête, puis trois heures en canicule. Le vent des Baronnies vous fait parler tout seul, vous exalter et vous envoler.

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