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Dix kilos




Sac à dos : rassurant petit monde, à la fois garde-manger, vestiaire, atelier et bibliothèque. Quand je le vois vide, efflanqué, suspendu au clou dans le garage, tel une marionnette avant le spectacle, il est pitoyable.

Mais sitôt que je le décroche et que je commence à le remplir, voilà qu’il revit ! Oui, forcément, au fond d’une poche latérale, je retrouverai les reliques oubliées des derniers voyages : un ticket de bus chiffonné, le petit étui de mouchoirs en papier, une pâte de fruit sous sa cellophane poisseuse, et avec un peu de chance, peut-être, le petit Opinel qu’on croyait définitivement perdu. Odeurs d’anciennes fatigues, souffle discret de saucisson rance et de linge humide ; comme un marin qui, apaisé, retrouverait sa cabine, le Voyage peut reprendre après la longue halte.

Combien ai-je possédé de sacs, dans ma vie de marcheur ? Cinq, six sans doute. Je me souviens du tout premier, celui des étés heureux de mon adolescence : épaisse toile beige, armature métallique qui vous défonçait les flancs, grelots des boucles de métal tintinnabulantes sur les sangles de cuir blond. La sacoche, issue du Front Populaire, sentait l’Auberge de Jeunesse, les diabolos-grenadine et les filles à bandeau, celles à qui l’on n’oserait jamais dire, le soir, qu’elles étaient belles. Et sitôt qu’il pleuvait, le bissac se faisait lourd, et détrempait toutes vos affaires, embuant la maigre optique de l’appareil Kodak Instamatic et dissolvant l’encre des cartes postales qu’on n’enverrait jamais.

Aujourd’hui le synthétique a remplacé la toile, au désespoir des nostalgiques, au bonheur du randonneur.

Technologie, mousses absorbantes, zips étudiés, poches secrètes : progrès et regrets aussi.

Bon. Ne pas dépasser dix kilos, réserve d’eau et livres de botanique et de poèmes compris.

C’est jouable.

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