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GERONIMO



Ecoutez mon histoire, ma honte, mon infamie.

J’étais enfant alors, au cours élémentaire.

En ces temps-là, liberté s’appelait jeudi,

On lisait, en Rouge et Or, Fenimore Cooper,

La tête dans les rêves du Nouveau Continent.

Ils seraient les cow-boys, et moi le Mohican.

Mais pour être un indien, il me faut des tatouages,

Signes mystérieux et dessins sur mon visage.

Par chance, le Grand Esprit, dieu de la Nature,

Offre secrets colorants, divines peintures,

Qu’un artiste-copain, qui disait s’y connaître,

Entreprit d’appliquer sur mon joli minois.

Rite obligatoire, prémices de futurs exploits :

Pour être Grand Sachem, il faut bien le paraître !

Du brin de l’herbe aux fleurs jaunes, il tira le suc,

Et de celui d’une inconnue, le blanc latex.

Avec un fin pinceau fait de brins de fétuque,

Il traça sur mes joues des accents circonflexes,

Oranges et blancs, je devenais effrayant.


Craignez foudre et tonnerre, vilains envahisseurs !

Je suis Œil-de-Faucon, le dernier Mohican !

J’ai un arc et des flèches, de vous je n’ai pas peur !

Mais au bout d’un quart d’heure, quelques gratouillements,

Sur mes pommettes d’apparat, se réveillèrent,

Et le soleil bientôt, du haut du firmament,

Et les sacrés pigments, m’assaillirent les chairs.

Il me fallut déserter le champ de bataille.

Abandonnant le carquois et tout l’attirail

A la recherche d’une fontaine rédemptrice,

Du courant d’une eau fraiche pour me débarbouiller.

Demeurer un héros vaut quelque sacrifice :

Un véritable indien ne peut pas se gratter !


Je rentrai chez moi pour goûter : pain, confiture,

Désarroi maternel : « tu as vu ta figure ? »

Me couchais de bonne heure, sans embrasser mon père.

Dans le miroir, hélas, j’avais découvert

Du déguisement de guerre, les terribles stigmates,

Sur ma jeune frimousse, les rayures écarlates.


J’ignorais alors, heureuse candeur de l’enfance,

Que la plante aux fleurs d’or était la Chélidoine,

Et l’Euphorbe des bois, celle à la sève blanche.

Naïve ignorance d’un futur botanomane !


Et c’est le lendemain, en rentrant dans la classe,

Que le maître d’école, nommé Monsieur Delmas,

Me lança ces paroles : « Bonjour Géronimo ! »

Qui firent mon surnom et glousser les poteaux.

Pendant deux longues semaines, je fus la risée

Des copains : injustes sont les jeunes écoliers !


C’est depuis ce funeste jour que j’ai appris

Qu’il fallait apprendre à identifier les herbes,

Que l’euphorbe amandine, même si elle est superbe,

Jamais par les indiens ne doit être cueillie,

Et que l’herbe aux hirondelles est toujours corrosive.

On m’instruira plus tard sur ses vertus curatives

Pour soigner les verrues, en application chronique,

Elle est sans aucun doute le meilleur des topiques.


Que Dieu, s’il existe, veuille bien me pardonner !

Gamin, des clématites, j’ai fumé des lianes,

L’air inspiré, comme un amateur de havanes.

Dans les vergers oubliés, j’ai volé des prunes,

Et des fleurs de trèfle, j’en ai suçoté plus d’une.

Mais jamais, plus jamais, je ne serai tatoué

Par l’encre de ces herbes qui m’avaient fait moquer !



LA CHELIDOINE, Chelidonium majus, à ONTEX (73), le 3 avril 2021

L’EUPHORBE DES BOIS, Euphorbia amygdaloïdes, à ENTREMONT LE VIEUX (73), le 10 avril 2021

© Texte et photos, Yves YGER, avril 2021

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